Ascenseur pour l’escabeau
La semaine dernière, en prenant l’ascenseur privé me conduisant auprès d’une personnalité très haut placée, bien au delà du troisième étage de la fusée Marianne, j’entendis avec stupéfaction une voix melliflue me susurrer « Tu montes, chérie ? »
Interloquée, je ne découvris aucun interlocuteur alentour ! Un œil jeté à droite, une oreille à gauche, ma langue dans ma poche et mon cerveau refusant de la donner à un quelconque mistigri des beaux quartiers, je m’interrogeai quant à la provenance de cette curieuse triade interrogative. Le timbre était masculin mais le souffle presque féminin. La porte capitonnée de mon luxueux élévateur géo-politique invitait, telle une vague relation, quelque hypothèse à la folie. Capiton capiteux, de qui veux-tu la décapitation ? Je savais que je n’étais pas folle, mais je me disais que si je le devenais subitement, je n’aurais aucune raison de le savoir. Tant que je me posais la question, c’était bon signe.
Petite musique d’ambiance… Normal dans un ascenseur. Normal et pas si normal quand les premières notes, reconnaissables entre mille, poussent guitares et kazoos vers un ‘’On ira tous au paradis’’ à la fois tendre et furieux. On irait tous au paradis ? Même moi ? Bénis, maudits, bonnes sœurs, voleurs, brebis, bandits, les saints, les assassins, les femmes du monde et puis les putains… On prendrait tous le même chemin ? Fatalement, j’étais sur la liste des invités. Mon hôte était-il divin ? C’était probable. L’huile que je venais voir devait être dans le saint des saints. Pourtant, je ne m’arrêtais qu’au cinquième, à deux pas d’on ne dit pas quoi. Il faut y croire.
Ma copine Rita, que chapelle Lovely Rita, courtisée en si majeur par son Paul, n’a rêvé d’autre chose. Mais son Paul à elle a trois potes à lui qui ne pensent qu’à eux. Signature rythmique en 4/4, harmonies et chœurs pour l’envol ; la boucle est bouclée grâce aux mêmes guitare acoustique et kazou. On s’y perdrait.
Peut-être qu’on s’y rendra tous, finalement. En attendant, mon rendez-vous n’y était pas vraiment ! Love me, please love me, and let it be. Comme un avion sans ailes, mais dans le genre furtif, le chasseur-bombardier. Je suis donc repartie assez prestement. Un garde du corps rappela l’ascenseur en faisant semblant de ne pas me mater. Je le scrutai discrètement en feignant de ne rien regarder. Il ne parla pas ; ça m’évita de lui répondre.
Miles Davis s’en allait sur la pointe des doigts lorsque mes stilettos aiguillonnèrent à nouveau la moquette vermillon. Juste à l’embouchure de l’ascenseur, une atmosphère ouatée, tardait à s’évanouir, entre flottement et coulissement. Le soufflet métallique la guillotina à l’horizontale. Nouveau tête à tête capitonné ; pléonasme italien. Survînt alors un souffle doux et chaud. Une voix basse lovée sur un rouleau lointain, comme suspendue à un cargo au petit matin. Je me suis dit que ça ne pouvait être qu’un ange gardien de nuit. On avait du le missionner pour me raccompagner par delà cette houle incertaine. Je ne comprenais pas tous les mots qu’il disait mais ses idées étaient belles. En fermant les yeux sans doute je le verrais…
Dans tes rêves ! Ou dans les films. Il n’y a que là que ça arrive. Dans cet ascenseur rouge, rien n’est apparu. Aucune image à laquelle m’arrimer. Je suis restée en rade et RDC est arrivé. Ding et re-ding. L’ascenseur sonne toujours deux fois après 2 et 1. En sortant, au dernier moment, un prénom racola mon regard. Otis.
Tandis qu’un cerbère de bas étage, pas méchant mais pas gentil, m’escortait jusqu’au taxi, un second ascenseur atterrissait dans le hall de réception. Il m’ouvrit les bras en grand lui aussi. Ding et re-ding. Otis également ! Tous les ascenseurs s’appelaient Otis !
Je fis part de mon étrange découverte au chauffeur qui ne parut pas plus étonné que cela. « Oui, c’est bien connu ; tous les ascenseurs s’appellent Otis », me dit-il en roulant sa Dodge sur les quais…