La TransMobile !
Batman qui frime au volant de sa batmobile, le pape qui parade en papamobile, la jeunesse qui surfe sur téléphone mobile, le macho égocentrique qui ne jure que par son automobile… Chaque représentant d’une classe ou d’une époque a son mobile. Et chaque mobile a ses raisons pour expliquer son cas. Et ses réseaux pour le faire oublier ensuite. Qui se souvient de la splendeur d’Oldsmobile à part quelques vieux Américains ? Et de la distinction des belles hippomobiles, chères à nos ancêtres fortunés.
Le crime du mobile est toujours lié au déplacement… et à sa manie d’effacer ce qui précède en faisant mine de servir ce qui suit. L’organe finit par faire oublier la fonction. Jusque là, vous me suivez ? Avant que le débat ne devienne trop philosophique, voire ésotérique, mobilisons nos neurones sur l’avénement d’un concept révolutionnaire : la Transmobile !
J’ignorais son existence avant que ma grande amie Claire n’ébranle mon téléphone fixe et ne m’éclaire sur la question. « Je t’envoie la photo d’un prototype qui va te transporter de joie ! » m’annonce-t-elle avec malice. Perplexe, j’attends l’arrivée du document sur l’écran de mon ordinateur. Quelques instants plus tard, je l’observe avec la même perplexité. Rappel de Claire : « Alors ? Lumineuse cette idée, non ? Tu vois à quoi je pense, évidemment ? ». Évidemment… non, je ne sais pas trop à quoi elle pense. Les raisonnements de Claire ne sont pas toujours synonymes de clarté. En revanche, ils sont souvent… Comment dire ? Ils donnent souvent un éclairage très différent sur le sujet. Véritablement différent. Nous reprenons donc notre conversation.
Elle : « Tu ne vois vraiment pas à quoi je pense ? »
Moi : « Euh… non, pas vraiment. Du moins, pas encore… »
- Mais enfin Brigitte, réfléchis un peu tout de même !
- Je ne fais que ça Claire, mais franchement, tu restes assez obscure.
- Bon alors voilà, je vais te clarifier les choses.
- Clarifie, Claire… Je t’en prie, clarifie.
- Tu te souviens, la dernière fois que nous étions en terrasse, à la Cavetière, et que nous regardions passer les voitures sur le boulevard Bourdon, et que les conducteurs regardaient nos jambes exposées au soleil, et que leurs femmes regardaient passer le regard de leurs maris du parebrise à la vitre latérale puis au rétroviseur, et au travers de la vitre arrière, comme aimantés par le nylon scintillant sur notre peau satinée, comme accrochés à nos jarretelles pourtant invisibles, comme cloués, rivés, arrimés à nos talons aiguille, eux très visibles, comme…
- Abrège Claire, s’il te plait abrège. Tu as toujours tendance à digresser pour un oui ou pour un non. C’est énervant à la fin.
- Tu exagères. Je n’ai pas pris un gramme depuis deux mois. Fini les régimes. Je suis pas près de me remettre à digresser.
- Bon, Claire, s’il te plaît, allume ma lanterne.
- Allume ? On ne dit pas plutôt ‘’éclaire ma lanterne’’.
- Oui Claire, c’est l’expression consacrée, mais je ne voulais pas être redondante en te disant : ‘’Claire, éclaire ma lanterne’’…
- Toi redondante ? Ça risque pas ! Les régimes, tu sais même pas ce que c’est ! T’es la seule copine que je connaisse qui n’a même pas un pèse-personne à la maison. C’est bien simple, t’es…
- Claire, Claire, Claire ! Venons-en au fait : à quoi tu penses, nom de Zeus !
- À quoi je pense en ce moment ?
- À quoi tu penses au sujet de la photo que tu viens de m’envoyer ?
- Ah oui ! La Transmobile !
- Ah bon ? Elle s’appelle comme ça ?
- Je ne sais pas. C’est moi qui l’ai appelé comme ça. Ça lui va bien, non ?
- Oui, oui, ça lui va bien. Et alors ? Elle te fait penser à quoi, la Transmobile ?
- Brigitte ! Ne me dis pas que ça ne t’as pas sauté aux yeux ou à l’esprit. C’est pourtant évident. Ça me paraît d’une limpidité…
- Une limpidité de cristal, certes… Oui mais non ! Ça ne m’a pas sauté aux yeux, ni à l’esprit, ni ailleurs. So please, tell me now !
- Ah là, quand tu parles en anglais, c’est pas bon signe. Ça veut dire qu’il faut vraiment abréger. Je vais donc simplifier. Batmobile pour Batman, Oldsmobile pour les vieux, Transmobile pour les trans !
Silence sur les ondes…
- Brigitte ? Allo, Bribri ?
- Oui, je suis là, Claire. Mon corps est bien là. Mon esprit, lui, s’interroge…
- Y’a pas à s’interroger. Cette voiture est faite pour nous, nos amies, nos enfants et toute la famille.
- Toute la famille ?
- Ben oui, quoi. Toute la famille des transparents !
Re-silence sur toute la ligne…
- Ben quoi , Brigitte ? C’est toi qui dis tout le temps qu’il ne faut jamais faire profil bas, qu’il ne faut surtout pas avoir peur de se montrer, que les plus fortes sont celles qui n’ont rien à cacher… Et ben, avec une bagnole comme ça, c’est réglé ! D’ailleurs, tu ne trouves pas que la conductrice ressemble beaucoup à Samantha. Je me demande même si c’est pas elle qui fait la démo ?
- Samantha ? Notre amie du Brésil ?
- Oui, Samantha du Brésil. Quand je l’ai vue au volant de cette voiture, ça a fait tilt ! Je me suis dit : Mais c’est bien sur ! Ce modèle transparent est fait pour nous, les transgenres. C’est notre transmobile du futur ! Je nous vois déjà l’essayer toutes ensemble, en plein Paris, pour le prochain 14 juillet ! Tu veux que je me renseigne pour savoir si on peut l’avoir en version décapotable ?
Je savais que Claire était parfois visionnaire. Certaines copines affirment qu’elle a de réels dons de medium. Donc, je savais Claire voyante à ses heures, mais là, je m’en prenais plein la vue. La transmobile du futur. Pourquoi pas ? Avec un bon avocat, ça devait pouvoir se plaider aux assises. On aurait une petite chance d’éviter l’internement, juste après le carambolage géant et l’émeute générale déclenchée place de la Bastille, un soir orageux de fête nationale…
Je fis remarquer à Claire que 1/ ce véhicule n’était encore qu’à l’état de prototype, 2/ le 14 juillet 2016 arrivait dans moins de trois mois, 3/ elle n’avait toujours pas passé son permis de conduire, 4/ je n’étais pas certaine d’être à Paris en juillet, 5/ l’assurance tous risques pour une Transmobile ne devait pas être donnée, 6/ Paco Rabanne prévoyait une chute de météorites sur la capitale, 7/ ça serait la galère pour trouver une place près d’un bon resto, 8/ nous serions à peine remises de la troisième mi-temps de la finale (le 10 juillet) du championnat d’Europe de football, 9/ ma cousine d’Amérique risquait de débarquer chez moi justement cette semaine là, 10/ j’avais encore un peu de travail à terminer dans l’immédiat et je devais raccrocher…
À mon grand étonnement, elle ne protesta pas. Elle me dit qu’elle comprenait, que le travail passait avant les distractions et qu’on aurait bien le temps de reparler de tout ça un peu plus tard. Elle ajouta : « Si je peux t’aider dans ton travail pour que tu avances plus vite, n’hésite pas. Fais appel à moi. À n’importe quelle heure, quand tu butes sur un truc, téléphone-moi. À deux, ça va mieux. Tu ne me déranges jamais. Les meilleures copines sont là pour ça. Je serai toujours là pour toi, et même en plein doute, tu y verras plus clair ». Au beau milieu de mes doutes, je verrai plus Claire. Ça, c’est limpide comme analyse.
J’eus un peu de mal à me remettre au travail et reprendre le fil de mes idées. La Transmobile hantait mon cortex. Elle passait d’un hémisphère cérébral à l’autre en faisant crisser ses pneus sur mes synapses. Un instant, j’imaginai un grand défilé transgenre sur les Champs Élysées, avec un cortège de transmobiles surréalistes, des Barbarella aux escarpins de verre, des Rocket Girls aux casques translucides… Une transmobilite aigüe lobait mon cerveau et me perforait les temporaux. Je voyais même Samantha allongée sur le capot ! Bref, je m’avais plus les idées claires pour me remettre au boulot.
Je regardai à nouveau la photo. En mini moulante et talons aiguille, nul doute que ce type de véhicule vous donne un genre ! Du coup, y’a plutôt intérêt à avoir une conduite irréprochable. Soudain, l’écran de mon téléphone mobile s’allume. C’est à nouveau Claire : « Re-salut Brigitte ! Ne t’inquiète pas, je serai brève ; c’est un appel éclair ! Tu sais, pour la transmobile, j’ai trouvé la tenue idéale : je vais m’habiller en trans-invisible ! C’est une idée géniale, non ? Qu’est-ce que tu en dis ? »
À voir…
Très bon article
Merci, cher André. Au niveau des dialogues, cela doit te rappeler les histoires que nous tournions à la MdT ou chez Igor, ce grand ami irremplaçable.
Tu me fais monter les larmes aux yeux quand tu parles d’Igor, qui me manque énormément. Oui, quelle belle soirée quand tu avais fait ta vidéo avec toute ta troupe à Champigny.
Et quel épisode fantastique aussi, quand Igor et toi vous aviez joué les extraterrestres dans une parodie de X-Files, nous poursuivant, Axelle et moi, avec des masques affreux et une démarche digne des envahisseurs intergalactiques les plus féroces ! Je vais d’ailleurs tenter de transcoder cette fameuse séquence pour la mettre en ligne sur ce blog d’ici peu.
… et vous n’auriez pas davantage de rayonnement que votre blog
pour ces textes désopilants et hors-classe ?
Je n’ose employer des mots sérieux comme littérature, style, ambiance ….
En tout cas , je lis cela avec un très grand plaisir .
Amitié – Philippe
Merci pour votre appréciation. C’est toujours gratifiant d’avoir un écho positif. Savoir que certaines personnes ont plaisir à gouter ce que j’esquisse m’encourage à poursuivre dans cette voie. Pour le moment, ce blog suffit à mon bonheur. Mes productions y font date. J’y suis seule maîtresse d’œuvre. Aujourd’hui, les média ne sont guère aptes à remplir leur fonction de lien, de révélateur ou de promoteur en ce qui concerne les créations un tant soit peu originales. Il est probable qu’un recueil soit édité et regroupe un jour certaines productions telles que nouvelles, transcodages ou humeurs vagabondes. En attendant, vous en avez la primeur. Plus tard, vous pourrez dire : « Je connaissais ces textes bien avant qu’ils soient publiés pour le plus grand nombre ». Et je vous inviterai dans une émission à succès. Ou alors, il n’y a aucun mal à cela, nous resterons inconnus. Mais désormais plus l’un pour l’autre.