Publié le vendredi 9 septembre 2016 à 17:15 par Anastasia Svoboda
Journaliste et transgenre, la nouvelle chroniqueuse du Grand Journal de Canal + a connu des débuts agités. La polémique passée, elle considère ce nouveau job comme une belle avancée pour « l’acceptation des différences. »
« Je m’assume, je suis moi telle quelle » résume Brigitte Boréale. La journaliste a trouvé un moment dans le « tourbillon médiatique » de sa rentrée pour accorder une interview à VSD. Un de ses rares entretiens jusque là. La chroniqueuse a débarqué dans la nouvelle équipe du Grand Journal le 5 septembre… avec une polémique à la clé. Après une vanne de la Miss Météo Ornella Fleury (« Bonjour monsieur-madame »), des téléspectateurs et l’association des journalistes LGBT ont saisi le CSA pour transphobie. « Une vanne entre amis » a recadré Brigitte dès le lendemain.
Elle est née Philippe Enselme en Lorraine il y a 58 ans. Après des études de psycho (avec le journaliste Denis Robert, son coloc’ à Nancy, resté un ami très cher) puis de lettres, ce passionné d’écriture devient journaliste au Matin de Paris puis à Libération. Après une parenthèse de deux ans en tant qu’éducateur spécialisé en milieu de prévention (« si ces jeunes avaient su à l’époque que celui qui les aidaient à se réinsérer se travestissait ! » s’amuse-t-elle aujourd’hui), ce grand sportif se spécialise dans ce domaine en devenant pigiste pour L’Equipe et France 3. En 2004, la chaîne gay Pink TV lui propose un job : « J’ai révélé mon identité. Ça a été un soulagement. » Car Brigitte Boréale – parce qu’elle se couche aux aurores et que BB sont des initiales qui « portent chance » – existe depuis longtemps et a pris de plus en plus de place : « Mais à vivre une double-vie, on n’existe qu’à demi. Je dis que je suis schizofrelle, avec –lle c’est plus féminin. »
Comment avez-vous vécu cette polémique dès votre arrivée ?
Je ne m’y attendais pas ! C’est ma naïveté de blonde méchée ! C’était une polémique postiche qui n’avait pas lieu d’être. Les personnes transgenres ne demandent pas à ce qu’on leur déroule le tapis rouge. Mais justement à être traitées comme tout le monde. Cela a au moins permis de parler de la cause trans. Mais je reçois l’argument de certaines militantes : « Etre à la télé devant des millions de téléspectateurs, ce n’est pas être entre amis. » L’association des journalistes LGBT qui a saisi le CSA ne m’a même pas appelé. Ce n’est pas grave d’en prendre plein la tronche de la part des intégristes du mouvement. Depuis vingt ans que je trace ma route en tant que Brigitte Boréale, j’en ai pris des claques. Nous n’avons pas réussi, comme la communauté gay, à nous fédérer. Il y a encore beaucoup de discussions entre les membres de la mouvance transgenre.
Lors de votre mise au point, vous avez rappelé que le quotidien des transgenres était loin d’être facile.
Il y a encore des barrières à franchir. Je n’ai jamais subi d’agressions physiques mais les verbales sont quotidiennes. Encore hier soir après avoir quitté les studios de Canal +, je me suis fait insulter par trois jeunes dans mon quartier. J’ai fait volte-face pour les confronter. Les passants se sont retournés. Avec mon allure de trans, les clichés de la prostitution viennent vite. Visiblement, ils étaient sensibles au qu’en dira-t-on car ils ont filé. Peut-être aussi parce qu’avec des talons de 12, je culmine à 1m94 !
Quelle a été votre réaction lorsque Canal + vous a proposé d’intégrer la nouvelle équipe du Grand Journal ?
C’est un pas de géant pour le troisième genre. Je ne remercierai jamais assez Victor Robert d’avoir pensé à moi. Que Canal m’ait donné ma chance est une grande avancée pour la visibilité, pour l’acceptation des différences. J’ai reçu beaucoup de témoignages. Comme « on a notre Cailtyn Jenner à nous », ça m’amuse. Comme elle, je suis encore moitié-moitié.
C’est-à-dire ?
Je ne renie pas mon origine masculine. Je ne me ferai pas opérer. C’est déjà difficile de jouer contre la société, alors jouer contre nature… Je refuse aussi la chirurgie esthétique. Je sais que je n’ai pas un visage harmonieux en tant que femme, mais finalement peut-être que ça interpelle plus. On peut jouer avec les codes. Comme Conchita Wurst !
Comment Brigitte est-elle apparue ?
Je me suis travestie très tôt. A 4 ans, j’ai découvert une crinoline dans une malle. Ça m’a électrisé. Comme si ça révélait quelque chose en moi. J’avais déjà cette dualité. A l’adolescence, je la masquais. Je me travestissais en cachette. J’avais un look androgyne, entre Patrick Juvet et John Lennon. Et j’avais des interrogations : est-ce anormal ? Aujourd’hui, je ne me remets en garçon que de façon exceptionnelle.
En 2011, votre fille Morgane (qui a rencontré Brigitte lorsqu’elle avait 13 ans) a participé à Secret Story, avec le secret « Mon père s’appelle Brigitte. »
Nous devions le faire toutes les deux. Endemol m’avait démarché plusieurs fois. Notamment pour La Ferme célébrités. Comme je suis curieuse, je suis même allée au casting ! Puis ils sont régulièrement revenus à l’attaque pour Secret Story. Morgane a décidé de participer pour la saison 5. Fière de montrer qu’avoir un père qui se travestit n’est pas un handicap. Au contraire ! Nous avons cette complicité père/grande sœur/fille. Pour elle, je serai toujours son papa.
Avez-vous d’autres projets télévisuels ?
Des tas de gens dont je n’avais plus de nouvelles me rappellent aujourd’hui. Les lignes sont en train de bouger. Mais je ne veux pas m’éparpiller. Je suis loyale et reconnaissante. J’apprends le métier du talk-show, tout en faisant partager mon vécu.
Vous avez également tenu plusieurs petits rôles dans des fictions.
Toujours des échassières de bar, des prostituées ou des échappées d’asile. Le jour où on m’appellera pour jouer une boulangère ou une factrice, la société aura vraiment évolué !
Quelque part, vous pratiquez un militantisme sensible.
Il faut emmener l’autre avec soi, dans quelque chose d’humain. Quand je faisais des arts martiaux, j’ai toujours été plus aikido que karaté.
Propos recueillis par Anastasia Svoboda Crédit photo : Canal +
Source : http://www.vsd.fr/actualite/interview-brigitte-boreale-c-est-un-pas-de-geant-pour-le-troisieme-genre-16534
Que dire de plus ! Ou plutôt que retenir ? Quant à fédérer un mouvement trans, trav ou tout autre genre, pour une vraie reconnaissance, comme Brigitte, je pense que le chemin sera encore long, mais pas sans fin. Bisous à toutes les “filles”.