CHAT SUFFIT !
De passage boulevard Saint Germain, en sortant du musée de Cluny, je humais tranquillement la douceur d’un automne parisien sans grande conviction lorsque je croisai un regard amande insolite. L’animal me fixait d’un air de dire : « D’où tu viens, toi, avec ton foulard et tes talons aiguille léopard ? ». Entre félins, on se comprend instantanément.
La chatte, très distinguée bien qu’un peu dodue, trônait au beau milieu d’un amas de sacs à main en tous genres qu’une vieille dame rangeait lentement, avant de rejoindre un domicile fixe niché dans quelque recoin inconnu du cinquième arrondissement. Je m’approchai de ce couple singulier en cherchant à tâtons mon iphone dans la poche de mon manteau. « Bonjour Madame, votre chat est magnifique. J’adore son allure et sa façon de regarder les passants. Puis-je le prendre en photo ? », demandai-je à la dame en lui tendant une pièce de deux euros. « Tenez ; vous lui achèterez une friandise en remerciement »… Elle tendit la main et acquiesça d’un hochement de tête, puis replongea dans un des sacs pour y déposer la pièce. Ayant pris une première photographie, je lui demandai le nom de son compagnon. « Elle s’appelle Minette. C’est une chatte qui n’est pas très facile », me dit-elle avec un sourire un peu forcé. « Ah bon ? Elle n’a pourtant pas l’air si revêche… » répondis-je en souriant et en m’accroupissant afin de prendre un second cliché.
« Non, non, non ; une photo ça suffit ! » ronchonna mon interlocutrice en guise de réponse. J’en restai coite quelques secondes. Je me relevai en lui disant que je ne comprenais pas ce brusque revirement et que je voulais simplement faire une deuxième prise de vue en gros plan. Je ne saisissais pas la raison de son changement d’avis soudain. C’est alors que j’obtins une justification pour le moins déconcertante : « Non, non, non : une photo c’est bien. Si vous voulez, je vous rends votre pièce. Mais pas d’autre photo en gros plan. Avec ces appareils et internet, on peut faire n’importe quoi ensuite » ! Estomaquée, j’écarquillai les yeux. De quoi cette vieille dame avait-elle peur ? Que je truque le portrait de Minette et le diffuse sur un porno tchat ? Que j’invente une histoire sans queue ni tête entre sa chatte et un minet de la télévision pour la vendre dans un magazine people, illustration à l’appui ? Qu’avait-on bien pu lui raconter sur internet pour qu’elle développe une parano aussi insensée à ce sujet ?
Je ne connaîtrai jamais la réponse à ces questions. Je lui ai dit qu’elle pouvait garder la pièce. Donner, c’est donner. Reprendre, c’est voler. J’ai tout de même précisé à quel point je regrettais sa réaction et sa méfiance à mon égard. Tout en prenant congé, lui souhaitant malgré tout une bonne journée, j’ai adressé à Minette un petit salut de ma main gauche, tandis que la droite, nonchalamment tendue le long de mon corps, prenait un second cliché à la volée. Séquelle de mes jeunes années de journaliste photo-reporter. Un peu plus loin, en tournant dans la rue des Carmes, je vérifiai le cadrage. Minette était bien au centre de la composition mais son regard avait changé. Il semblait las et désabusé. Une façon de montrer que, contrairement à ce qui avait été annoncé, la moins chamailleuse (et la moins bête) des deux n’était pas celle que l’on eut pu croire.
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