L F L

TOUCH  DOWN  AND  PUSH  UP  !


« Welcome to the LFL ! » annonce le clip en introduction, un peu comme on déclarerait « Bienvenue en enfer » ! Ou au paradis, selon que l’on est actrice ou spectateur. LFL s’écrit avec deux L parce que cela devait être leur domaine à elles. Et que ça rime avec dentelles. Aujourd’hui, le sigle signifie Legends Football League mais le L de Legends est un transfuge du L de Lingerie.


Tout a commencé en 2004, lors de la mi-temps du Superbowl, le grand show annuel et hyper-médiatisé du football américain masculin. Ce soir-là, sous le nom de Lingerie Bowl, fut tentée une déclinaison féminine et sexy de ce sport plutôt musclé et viril. Le succès fut tel que le concept engendra aussitôt une Lingerie Football League, qui inaugura dès 2009 un championnat regroupant des équipes bien plus étoffées que les tenues minimalistes de leurs joueuses.

Les grandes métropoles américaines ont aussitôt adhéré à cette transmutation médiatico-sportive avec la création de formations aux noms évocateurs : Los Angeles Temptation, Chicago Bliss, Atlanta Steam, Baltimore Charm, Denver Dream, San Diego Seduction, Pittsburgh Rebellion, Seattle Mist, Dallas Desire, Philadelphia Passion, Las Vegas Sin, Orlando Fantasy, New York Majesty, Miami Caliente… Très vite, le nombre de spectateurs n’a cessé de croître (les clips officiels évoquent plus de 70 millions de fans aux USA), dopé par des vidéos et des photos spectaculaires. En 2013, la Lingerie Football League a été rebaptisée Legends Football League.

Son fondateur, l’impresario américain Mitch Mortaza, a sans doute voulu ajouter une touche de crédibilité et un soupçon de respectabilité à cet hybride de sport-business et de divertissement. Les critiques dénonçant une dégradation de l’image de la femme n’ont pas pesé lourd face aux retombées financières et médiatiques qui n’ont cessé d’amplifier le phénomène. Certains journalistes américains l’ont qualifié, toutes disciplines confondues, de “sport moderne au développement le plus rapide”. Des courbes impressionnantes, il est vrai. Ces dernières années, la déferlante s’est propagée au delà des frontières US, notamment en Australie, au Canada et au Mexique… On parle même d’extensions européennes à l’étude du côté de Barcelone, Manchester, Dublin ou Francfort.

Techniquement, la greffe est facilement transposable. La discipline s’appuie sur les règles du football américain. Deux équipes de 7 titulaires (supplées en cas de besoin par 6 remplaçantes) s’affrontent sur un terrain de 46 mètres de long sur 28 mètres de large. La rencontre est divisée en 4 périodes de 10 minutes chacune, avec une pause d’un quart d’heure à mi-parcours. Au total, 40 minutes de jeu effectif dans un sport-spectacle propice à enflammer les gradins autant que les terrains.

Tout n’est pourtant pas rose pour celles qui montent en première ligne et sont les principales responsables de cet engouement prospère. Ce championnat charnel ou cette ligue la plus sensuelle du monde, selon des termes chers aux aficionados, sont tout sauf une partie de plaisir pour midinettes en goguette. Belles et athlétiques, les joueuses sont recrutées sur des critères croisés qui ne laissent rien au hasard. Il y a évidemment l’aspect esthétique, d’où une première barrière discriminatoire assumée qui ne peut évidemment pas plaire à tout le monde, mais qui est le premier écueil à franchir pour celles qui doivent plaire au plus grand nombre. Il y a ensuite et surtout les capacités physiques pour être à même de supporter des entraînements éprouvants (certains coachs sont des anciens de la NFL, la ligue professionnelle masculine, ce qui veut tout dire) et d’aligner des matchs au couteau qui ne sont jamais sans conséquence. La vidéo illustrant cet article est assez éloquente.

Une joueuse de LFL doit être vive, puissante, rapide, explosive et résistante. Autant de qualités qui ne sont vraiment pas évidentes à concilier. Elle doit pouvoir encaisser des chocs monumentaux et enchaîner avec des accélérations fulgurantes. Toutes sont des athlètes confirmées, souvent issues de sports de combat ou d’endurance. Elles ont d’autant plus de mérite que, contrairement à leurs homologues masculins, leur équipement de protection n’est pas top. Certes, elles disposent de casques, visières, protège-dents, épaulières, coudières et genouillères, mais avoir le ventre à l’air, les seins exposés par un soutien-gorge push-up et les fesses moulées dans un mini shorty ne constitue pas le meilleur rempart contre les heurts, chutes, tacles et placages en tout genre. Car dans ces corps à corps fougueux, inutile de le préciser, il n’y a jamais de simulation.

Comme si cela ne suffisait pas, les footballeuses de LFL doivent toujours paraître à leur avantage : maquillées, coiffées, manucurées, parfois huilées. Le tout à leurs frais !  Elles doivent également faire montre de caractère et extérioriser un fort potentiel charismatique. Autrement dit, elles doivent faire le show et en rajouter un max, face à leur adversaire comme à leur public. Le too-much n’existe pas. Le no limit est de rigueur. Si, par malheur, elles oublient d’être dans l’excès une seule seconde, l’intraitable Mitch Mortaza, pour qui rien n’est jamais assez, vient en personne leur passer un savon dans les vestiaires, ou délègue la sale besogne à l’un de ses sbires, vociférant ses consignes avec la délicatesse d’un instructeur pour GI. Sir yes sir ! Têtes hautes et regards féroces. La LFL n’aime pas les damoiselles. Et plus les teignes sont teigneuses, plus les supporters qui leur ressemblent aiment ça. Elles donnent parfois l’impression d’être plus chargées en testostérone que nos rugbymen du Top 14. En regardant leurs échauffourées, une de mes amies transgenres, pourtant parmi les plus “guerrières”, me disait qu’elle n’était pas sure d’avoir le dessus face à de telles furies… et que, pour une fois, elle laisserait à son fiancé, qui a la carrure de Sébastien Chabal, le soin de régler le problème.

Une réflexion pertinente que j’ai toutefois modérée en rappelant un grand classique du genre humain : ceux qui surjouent les bourreaux en se donnant des airs de grands méchants sont souvent plus victimes que leurs victimes. Les gladiatrices de la LFL n’ont rien à envier à leurs lointains ancêtres qui matchaient il y a près de vingt siècles sur le sable du Colisée. Si elles ne jouent pas leur vie, elles risquent leur santé à chaque combat. Le traitement des blessures, dont certaines sont très graves (fractures, luxations, ruptures de ligaments…) n’est pas pris en charge par la ligue, pas plus que les frais et périodes de rééducation. Alors qu’aux USA tous les sports majeurs possèdent un syndicat, il leur est strictement interdit par cette même ligue d’en former un. Enfin, cerise sur la déconfiture, elles n’ont pas de salaire ! Elles touchent simplement une sorte de pourcentage indexé sur chaque match en fonction de son importance et sa rentabilité. On leur fait miroiter des revenus parallèles générés par leur notoriété mais seules les stars peuvent réellement en tirer bénéfice dans la publicité, l’événementiel ou les médias. Pour quelques unes qui auront droit à leur photo dans Playboy ou leur nom associé à une marque de (sous) vêtements, les autres devront se contenter d’animations au rabais dans des supermarchés de seconde zone ou de spots publicitaires sur des télés locales. On n’est pas très loin des barèmes en vigueur pour les starlettes de téléréalité.

En toute fin de fin de prolongations, drapés dans leur impérieuse suffisance, Néron ou Caligula laissaient espérer une très hypothétique liberté à leurs mirmillons les plus valeureux. Chance minuscule pour illusions majuscules. Du haut de sa cruelle LFL, dont l’écusson pointe comme un trident, le tyrannique Mitchell Mortaza fait figure d’implacable rétiaire.  Il captive et capture le possible.  Et le rend impossible… Il torture dans ses filets des rêves et des espoirs sans cesse différés.

« Welcome to the LFL ! » reprend le clip en conclusion…

 

 

 

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