MACR DORCEL
Ce dernier week-end, nous avons encore vécu un grand moment d’onanisme oratoire. Notre cher président de la république n’a pu s’empêcher de mettre son nez là où il n’est pas toujours prudent de mettre le petit doigt. Et l’engrenage médiatique s’est mis en branle. Pensez donc ! Cette fois, Emmanuel Macron a osé s’attaquer au porno ! Et pas n’importe lequel ; celui qu’on trouve gratos sur internet, et qui, bien évidemment, nuit aux enfants.
Lors d’un discours prononcé samedi 25 novembre, durant la journée internationale contre les violences faites aux femmes, Emmanuel Macron a vivement regretté que les enfants aient facilement accès à des images pornographiques sur internet. Il a déploré le fait que cette pronographie, “qui fait de la femme un objet d’humiliation, (…) franchisse la porte des établissements scolaires”. Il a assuré qu’à l’avenir il faudrait que ça change, et patati et patata…
La déclaration qui a été la plus reprise, que ce soit en télévision, radio ou sur les fil-infos internet est la suivante : « Nous ne régulons pas aujourd’hui l’accès aux jeux vidéo, aux contenus sur internet, aux contenus pornographiques de plus en plus diffusés. En 2018, sous l’autorité du premier ministre, et avec l’engagement tout particulier de la garde des sceaux, nous devrons donc repenser le cadre de notre régulation des contenus, en particulier des contenus audiovisuels, en prenant en compte l’évolution du numérique et afin d’étendre les pouvoirs et la régulation du CSA pour que ce contrôle indispensable, ce soin élémentaire de la république, puisse être porté sur tous les contenus…»
La première phrase, énoncée sous forme de constat est on ne peut plus claire. C’est une évidence. La seconde, censée définir une réaction, une riposte à cet état de fait, est imbitable. De par sa longueur déjà, avec une forme soporifique, elle fait imanquablement penser à la saillie du regretté Coluche à propos de la classe politique : « C’est les mecs que, quand tu leur poses une question, une fois qu’ils ont fini de répondre, tu comprends plus la question que t’as posée ».
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La sentence présidentielle est fort alambiquée. Toutes ces mises en apposition : “sous l’autorité du premier ministre”, “et avec l’engagement particulier de la garde des sceaux”, ne riment à rien et ne font pas avancer le schmilblick d’un millimètre. Sur le fond ensuite, l’analyse est encore plus navrante. Première information livrée : cela se passera en 2018. Bon d’accord. Et alors, à quoi aura-t-on droit sur le sujet en cours d’année prochaine ? Et bien : “nous devrons repenser le cadre de notre régulation de contenus (…) en prenant en compte l’évolution du numérique”… Ah ouais ? Super ! S’il a fallu attendre 2018 pour qu’en hauts lieux on se décide à prendre en compte l’évolution du numérique, déjà, on est mal. Mais bon, admettons. Cette prise en compte effectuée, on va alors “repenser le cadre de notre régulation de contenus”… Késako ?! Concrètement, ça veut dire quoi ? Au lieu du cadre, on pourrait peut-être s’intéresser au cœur du problème, non ? Et puis, tant qu’on y est, au lieu de penser à repenser, on pourrait peut-être se décider à décider. Évidemment, la suite de la phrase ne plaide guère en la faveur de cette hypothèse : “étendre les pouvoirs et la régulation du CSA pour que ce contrôle indispensable (…) puisse être porté sur tous les contenus”. Quand on connaît la lenteur qui caractérise les interventions du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), et le mal qu’il a à juguler les dérapages de quelques animateurs dans leur pré carré de chaînes franchouillardes, on se dit que les plates-formes internationales qui diffusent du porno 24 heures sur 24, et qui sont basées bien au chaud dans leurs paradis fiscaux, ne sont pas près de se faire du mouron.
La réflexion de notre chef d’état en était là, donc pas très loin, lorsque Marc Dorcel s’y introduisit par surprise (si toutefois je puis m’exprimer ainsi). Le Marc Dorcel de chez Vidéo Marc Dorcel ? Le pape du X en France ? Oui, oui, celui-là même ! Sa société de production de films à caractère pornographique s’est aussitôt fendue d’un communiqué allant dans le sens du vent brassé par le président et fustigeant “la prolifération des mineurs face aux sites pornographiques sauvages” (sic). Curieuse façon de nommer les choses. Ne devrait-on pas plutôt inverser les termes de la proposition et parler de prolifération des productions pornographiques face aux mineurs ? À moins de sous-entendre que, si les mineurs se mettent à proliférer face aux sites pornos, c’est qu’ils en sont directement issus ! Un axe de réflexion à proposer aux conseillers du président qui planchent sur les moyens de doper la démographie nationale…
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La Dorcel Family, avec au centre gauche Marc, le père, et au centre droit Grégory, le fils.
Marc Dorcel soutenant la position du missionnaire vertueux qui part en guerre contre le porno pour tous ? Pas si paradoxal. Pour le comprendre, il suffit de remplacer le “pour tous” par “gratos”. Ce qui agace VMD n’est évidemment pas le fait que l’on assiste à une diffusion massive du porno, qu’elle concerne les enfants ou les adultes, mais bel et bien que ce porno soit proposé gratuitement. C’est là que le bât blesse. Tout le reste n’est que porte-jarretelles factice pour mesures bidon tirebouchonnant aux entournures. Depuis une demi douzaine d’années, la société Dorcel ne cesse de crier au loup en demandant aux autorités de bloquer les sites incriminés sur les moteurs de recherche. C’est bien mal connaître le fonctionnement du web et la capacité des internautes à déjouer les barricades virtuelles dressées par les opérateurs. Partout où ce genre d’expérience a été tentée, le remède a été pire que le mal. Les sites visés ont bénéficié d’un effet pervers stimulant leur notoriété et leur fréquentation. Sans compter le casse-tête chinois sur le plan juridique. Comment interdire en France des sites ou réseaux jugés légaux par d’autres pays, dont certains voisins européens ?
Chez Dorcel, on va devoir travailler la question plus en profondeur. Et trouver un moyen plus judicieux de s’adapter à la situation, comme ce fut plusieurs fois le cas par le passé. Fils d’un tailleur hongrois qui aurait été ruiné si les femmes s’étaient baladé dans sa boutique aussi dévêtues que dans les films de son rejeton, Marc Dorcel, de son vrai nom Marcel Herskovits, débuta en tant que dessinateur industriel dans une société de machines à coudre, puis se reconvertit dans le camionnage en créant la société Transports Dorcel. Après la faillite de cette dernière, il décida de changer d’orientation. Avec l’édition d’œuvres érotiques dès 1968, il troqua les transports routiers pour les transports amoureux. L’ouvrage “Ursula” fut son premier succès, qui ouvrit ensuite la voie à de nombreux roman-photos érotiques. Quelques visites en chambre correctionnelles plus tard, assorties de condamnations pour outrage aux bonnes mœurs, il décida de monter d’un cran et créa la marque Vidéo Marc Dorcel en 1979. Son premier film X, intitulé Jolies Petites Garces, enflamma le marché. À 500 francs pièce, la cassette VHS s’écoula par milliers dans les sex-shops, alors que les films pornographiques étaient bannis des cinémas et relégués (loi du 30 octobre 1975) dans des salles spécialisées peu ragoutantes. Contrat d’exclusivité avec certaines actrices, catalogue regroupant aujourd’hui plus de 4.100 films, précurseur de la VOD (vidéo à la demande) au début des années 2000, lancement de plusieurs chaînes tv (Dorcel tv, Dorcel XXX, Erotica tv), publication d’un magazine (Dorcel Magazine), fabrication de sextoys et distribution de produits siglés, ouverture de boutiques (Dorcel Store), investissement dans les nouvelles technologies et présence sur les box des opérateurs européens… la vitalité ne s’affiche pas que sur la pellicule Dorcel. Grégory Dorcel, le fils devenu directeur général, avouait au début de l’année 2017 un chiffre d’affaires de 35 millions d’euros, en croissance régulière de 5 à 10 % par an.
Des chiffres et des résultats qui devraient plaire au grand protecteur des entrepreneurs méritants. Macron-Dorcel, même combat ? Sur un plan technique peut-être, sur un plan éthique pas vraiment. Cette histoire de web porno les a réunis dans un étrange mariage de la carpe et du lapin. L’un fait des grands effets de bouche, l’autre sait se démultiplier, mais ils ne sautent pas dans la même catégorie. Coup d’épée dans l’eau ou zig-zag salvateur ? 2018 régulera le contenu de la question… sous l’autorité du premier ministre, qui aura probablement d’autres chats à fouetter dans la grande partouze électorale En Marche, et avec l’engagement particulier de la garde des sceaux, qui hésitera surement à se mettre la tête dedans. Faire l’autruche est beaucoup moins dangereux en conseil des ministres que sur un plateau de tournage pornographique.
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Cela dit, dans un élan de mixité très politiquement correct, et de parité très à la mode actuellement, il serait peut-être bon de mélanger le personnel des cabinets inter-ministériels avec celui des studios érotico-industriels. Cela créerait un think tank, un laboratoire d’idées regroupant de véritables experts en la matière. On ne parviendrait sans doute pas à circoncire le problème de la propagation du porno sur le web, mais ça aurait le mérite d’élargir les débats. Et de diversifier les angles d’attaque.
D’autant que chez Dorcel, on ne lâche pas le morceau aussi facilement. Après le père, ce fut au tour du fils d’en remettre une couche. Dans une seconde interview, Grégory Dorcel insistait lourdement en déclarant : « On se félicite que Macron a porté le doigt sur ce problème » ! Visiblement, l’abus de fictions à base de liaisons extraconjugales nuit aux règles grammaticales et à la concordance des temps. Le hardeur français Manuel Ferrara y allait aussi de son tweet-invitation, se piquant de vouloir expliquer au président les dures réalités du métier : « Je suis prêt à m’asseoir avec vous et discuter d’un sujet qu’à priori vous ne connaissez pas ».
Dans son fauteuil, Emmanuel va devoir se méfier des liaisons dangereuses, réfléchir au moyen de tempérer les avances de partenaires indésirables et se retirer du pied l’épine Dorcel. Il va falloir aussi sortir de ce jeu de dupes sans donner l’impression de n’être qu’un phraseur impuissant, secouant des dès pipés d’avance. Ou alors, si ce n’est déjà fait, songer à monter un grand club d’échangisme politique…
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Bonjour à toutes et à tous,
J’aime beaucoup cet habile article socio-politique, qui dessine des conflits d’intérêts dans cette tartufferie sexo-polie chic.
Loin d’Internet, qui empêchera un mineur d’acheter une revue licencieuse dans une braderie, un marché aux puces ou chez le libraire ? Je me souviens l’avoir fait. C’était en 1978, j’avais 13 ans ! Et en plus, on se prêtait gratuitement ces magazines érotiques entre copains.
La sexualité fait partie de la vie, du plaisir à la liberté de pratiques, jusqu’à vendre son corps par choix et je ne parle pas de proxénétisme.
Le débat porno web reste réducteur…