PLANÈTE BLEUE
Il y a des jours comme ça. Des jours bénis des dieux. Ce dimanche 17 décembre 2017 en était un. Le jour des seigneurs tricolores. Il fallait être français pour célébrer la victoire et communier dans la joie avec ses supporters. Cela ne se produit pas si souvent… Sur l’eau, sur terre, dans les airs, le souffle du succès semblait avoir choisi son camp de façon inexorable. Comme si la grand messe du sport était dite en français avant même d’avoir commencé.
La navigateur François Gabart avait montré la route à suivre dès le matin. Ce n’était pas celle du Rhum, du Vendée Globe ou de la transat Jacques Vabre, autant de grandes classiques qu’il avait déjà arrimées à son palmarès au cours (pas si long) des années précédentes. Cette fois, il s’attaquait au prestigieux tour du monde en solitaire sans escale. En coupant, après 42 jours, 16 heures, 40 minutes et 35 secondes, une ligne d’arrivée virtuelle tendue entre l’île d’Ouessant (Finistère) et le cap Lizard (Angleterre), il harponnait un triomphe auquel rêvent tous les marins, pulvérisant de six jours le précédent record détenu par un autre Français, Thomas Coville, depuis décembre 2016.
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Un peu plus tard, dans cette même matinée, c’était Justine Braisaz qui surfait sur la vague du succès du côté du Grand Bornand. Avec une des meilleures glisses sur les pistes de Haute Savoie et un tir frisant la perfection, la jeune biathlète native d’Albertville remportait la mass start féminine, épreuve prestigieuse au possible, réunissant la crème de la crème mondiale lors d’une course très nerveuse, lancée par un départ en ligne toujours très spectaculaire. Après quatre secondes places en coupe du monde, elle signait là sa première victoire majeure devant son public, et le jour de l’anniversaire de son père. Au journaliste qui lui demandait si elle savait pourquoi les gens l’appréciaient de plus en plus, et aimaient écouter ses interviews en direct, elle répondit : « À cause de ma naïveté ? Et de ma bêtise peut-être ? ». Avec un délicieux sourire qui contredisait aussitôt cette hypothèse.
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En début d’après midi, sur la même neige savoyarde, notre Martin Fourcade national s’engouffrait dans le sillage de sa cadette en remportant lui aussi la mass start, version masculine. L’ogre catalan (un de ses surnoms), double médaillé olympique et déjà détenteur de 11 titres de champion du monde, mettait le grappin sur sa 65ème victoire en coupe du monde ! Le maillot bicolore jaune et rouge sur les épaules, signe distinctif du leader de la spécialité et du classement général, il a su maintenir le bon cap malgré la pression croissante d’une concurrence norvégienne et allemande. Un cap qu’il résume parfaitement dans l’une de ses formules aux accents de maxime philosophique : « Si tu abandonnes une fois, cela peut devenir une habitude. N’abandonne jamais ».
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Après les performances individuelles, c’était au tour des sports collectifs de prendre les relais victorieux. En coupe d’Europe de rugby, l’ASM Clermont-Auvergne affrontait les Saracens, double tenant du titre. L’écueil était de taille, mais le redoutable club anglais, déjà éperonné à domicile par les Clermontois la semaine précédente, fut bel et bien torpillé au stade Marcel-Michelin. Certes, le score demeura étriqué (24-21), mais cette défaite britannique résonne comme un coup de semonce. Il ressemble fort à un coup d’arrêt faisant tanguer la hiérarchie européenne en faveur du club français, un peu comme si, en football, le PSG venait à éliminer le Real Madrid.
Cerise sur le gâteau du dimanche, les handballeuses françaises disputaient la finale du championnat du monde 2017 face à la Norvège, dont l’équipe féminine de handball est à ce sport ce que sont les All Blacks au rugby. Les Norvégiennes étaient archi-favorites mais nos grandes Bleues, qui jouaient en blanc, avaient décidé de balancer les préjugés et les statistiques par dessus bord. Habituées à prendre le large rapidement en dominant toutes leurs adversaires, les Nordiques n’ont jamais pu larguer les Françaises dans une partie haletante où le score est resté serré jusqu’à la fin. Les deux formations ont navigué bord à bord en se rendant coup pour coup, mais au fur et à mesure que l’on approchait du terme du match, on sentait, non pas un vent de révolte, mais une petite brise favorable venant au portant de nos joueuses. L’Arena de Hambourg et ses 13.000 spectateurs avait beau être à 80 % norvégienne, au coup de sifflet final, son tableau lumineux affichait France 23 – 21 Norvège.
Elles l’avaient fait ! Quatorze ans après leur premier sacre mondial, acquis en 2003 avec le même entraîneur (Olivier Krumbholz, seul rescapé de cette épopée), les Françaises montaient à nouveau sur la plus haute marche du podium. Une neige de confettis dorés tombait sur leurs têtes, comme des papillotes de Noël. Un énorme trophée de cristal voguait de mains en mains. La Marseillaise montait dans le ciel allemand. Encore plus haut, les planètes devaient être alignées sur un faisceau bleu blanc rouge. Et ce dimanche se terminait comme il avait commencé.