MÉTAMORPHOSE
Elle n’a jamais compté pour des prunes, même en brune, et pourtant, Conchita Wurst vient de passer dans le camp des blondes ! Ces derniers jours, la drag queen autrichienne, qui remporta le concours Eurovision de la chanson 2014, est apparue dans une blondeur qui a ravi certains fans et qui en a fait pâlir beaucoup d’autres… ces derniers redoutant que Tom Neuwirth (son nom à l’état civil) ne se pique soudainement d’assassiner l’ancienne Conchita en la supplantant par la nouvelle. Chagrin d’amour en perspective mais chacun fait, fait fait, c’qui lui plait, plait, plait…
Et quoi de plus naturel, pour cette chanteuse qui déploya aussi ses talents de DJ, que de devenir blonde platine ? En exergue de ses dernières photos, son compte Instagram a livré un nom de code : Lady Oscar, qui résonne comme un mot clé, une piste à creuser. C’est évidemment une référence à la série d’animation japonaise du même nom, qui met en scène un personnage androgyne clairement inspiré du Chevalier d’Éon. La dualité féminin/masculin reste donc au cœur des intentions et de la personnalité de Conchita Wurst, quelle que soit son évolution personnelle.
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En avril dernier, dans le quotidien britannique “The Independant”, l’une de ses interviews esquissait déjà une variation d’intention : « J’ai célébré ma part féminine ces dix dernières années, depuis que j’ai commencé à faire du drag. (…) J’ai compris que ce personnage de scène que j’ai créé me permet d’aller dans plein de directions différentes et j’évolue au gré de mes inspirations. J’ai commencé en étant une diva dans une robe dorée, maintenant, je suis plutôt un artiste drag barbu en bottes. (…) Je pense que les lignes [entre Conchita et Tom] sont plus floues qu’elles ne l’étaient avant. À l’époque de ma victoire à l’Eurovision, j’étais très clair sur les délimitations et sur la manière dont il fallait s’adresser à moi. Je voulais qu’on dise “elle” dès lors que j’étais vêtu en Conchita. Tout le monde a suivi cette règle. Avec le temps, j’ai évolué et suis devenu de plus en plus à l’aise dans ma peau. Je fais et je m’habille en fonction de ce que je ressens sur le moment et maintenant, je vais vers un look plus masculin, probablement plus proche de qui je suis dans le privé, dans ma vie de tous les jours en tant que Tom. »
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Tom et Conchita, ou vice versa, font ce qu’il ou elle veut, et c’est bien la moindre des choses. Fort impudents, pour rester poli, seraient ceux ou celles qui en désireraient autrement. Il est toujours effarant de constater à quel point les étiquettes ont la peau dure dans une société qui veut sans cesse les imposer, y compris à ceux qu’elle distingue justement parce qu’ils les refusent. Blonde ou brune, fille ou garçon ; où est le problème ? La véritable question est plutôt : qui et pourquoi cela défrise ? L’absence ou la mouvance de genre font encore très mauvais genre dans l’esprit rétréci de la norme. Les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. De temps en temps, l’alibi artistique autorise une tolérance relative, mais l’on se rend très vite compte que la tangente est balisée. Il y a une marge acceptable et une marge condamnable. La divergence est précaire. Elle est prétendue dangereuse, non pas pour ce qu’elle conquiert, mais pour ceux qu’elle pourrait conquérir. Contagion et exclusion se crêpent sans cessent le chignon pour que les mêmes raseurs nous la jouent à la Dalila. Cela explique également pourquoi les attaques proviennent aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur.
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Début 2018, un ex-petit ami de Conchita Wurst menaça de révéler sa séropositivité au grand public. Ce petit, tout petit ami, et encore plus petit maître chanteur, oubliait qu’il s’adressait à la diva qui immortalisa “Rise Like A Phœnix” (Je m’élève comme un phœnix). On ne donne pas le ton à ces oiseaux-là. Ce sont eux qui sifflent leur loi. En avril, Conchita prit les devants et annonça elle-même sur les réseaux sociaux : « Je suis séropositif depuis de nombreuses années. Cette information est neuve pour le public mais mon statut de séropositif de l’est pas. (…) J’espère que cela contribuera à donner du courage et à combattre la stigmatisation des porteurs du virus du sida. Ma santé est bonne. Je suis plus fort, motivé et libre que jamais. »
Bonne chance aux racketteurs de tout poil, aux colleurs et décolleurs d’étiquettes. Conchita reste en haut de l’affiche et continue de torturer les clichés. L’une des dernières photographies postées sur internet la montre vêtue d’un T-shirt estampillé “DOM TOP”. Pour les non-initiés, ces deux petits mots de trois lettres chacun paraissent anodins et insignifiants. Ils ne sont ni l’un ni l’autre. Dom Top peut se traduire par le dominant supérieur, l’actif en chef. L’allusion est certes sexuelle, mais elle peut aussi être psychologique ou sociale, de même qu’elle peut être délivrée de façon authentique ou ironique. Ou même tout cela en même temps ! Cette lecture à plusieurs niveaux, particulièrement savoureuse dans le sillage de la star à barbe, correspond bien à l’univers du troisième genre et à ses montagnes russes existentielles. Dès le départ, on est sur le fil du rasoir. On ne fait pas toujours ce qu’on veut mais personne ne peut nous empêcher de le penser. À défaut d’affirmation permanente, nos idées sont mises en plis, soigneusement, consciencieusement, régulièrement. On s’en occupe d’abord seul, au présent, en vue d’extensions futures. On les dissimule mais on en prend soin. On les nourrit. On les arrange. On les démêle. On leur donne du volume, tant est si bien qu’un jour ou l’autre on les revendique ouvertement. On les libère totalement. On ne craint plus de les confier à d’autres que soi. Alors, on pousse la porte d’un salon de coiffure et on annonce la couleur !
Blonde ou brune, brune ou blonde, la boucle est bouclée.
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