UNE AFFAIRE D’ÉTAT… D’ESPRIT !
Un matin de l’année 2009, ma directrice de casting préférée m’appelle à propos d’un long métrage en cours de réalisation.
– Allo Brigitte, c’est Fabienne. Je suis à la recherche de cinq personnages transsexuels pour le tournage d’un film à Paris.
– Ah, ah… Intéressant ! Voici une journée qui commence bien…
– Oui, d’autant que c’est un film très prometteur qui s’intitule “Une affaire d’état”. C’est un thriller avec André Dussolier, Thierry Frémont, Rachida Brakni, Denis Podalydès…
– Waouh ! Quelle distribution ! Il ne te manquait plus que Brigitte Boréale et ses copines pour compléter l’affiche, si je ne m’abuse ?
Nous éclatons de rire toutes les deux.
– C’est ça, Brigitte ! Je vois que tu comprends toujours aussi vite !
– Bon alors, dis-moi Fabienne ; nous devons interpréter quel type de personnage cette fois-ci ? Prostituées au bois, agitées du bocal en boîte de nuit, échappées d’asile psychiatrique, échassières dans un bar, cassos toxicos en fin de droit ? Parce que le jour où tu m’appelleras pour qu’un transgenre joue un rôle de boulangère ou de pharmacienne, là, la société aura définitivement évolué !
Nouveaux éclats de rire simultanés.
– Tu es trop forte Brigitte ! Tu as tapé dans le mille. Ta première hypothèse est la bonne.
– Bois de Boulogne ou Bois de Vincennes ?
– Le tournage a lieu au Bois de Boulogne dans quinze jours. Je te fais confiance pour le choix des personnes qui t’accompagneront. Je vais te donner les coordonnées du responsable qui s’occupe de boucler le casting. C’est quelqu’un d’adorable. Tu l’appelles de ma part et tu vois avec lui comment tout cela s’organise. Je ne pense pas que nous nous verrons sur place, mais je te rappellerai sans doute en fin de mois au sujet d’un second tournage, un téléfilm cette fois, pour France Télévisions.
– No problem, dear Fabienne. J’essayerai de changer la couleur des bas résille et des talons aiguille !
Éclats de rires, suite et fin.
Le responsable du casting est aussi sympa que direct. Les cinq personnages souhaités doivent être très ‘’typés prostitution’’, mais également assez différenciés au niveau vestimentaire… mais tout même très prostitution, hein, ça va de soi ! Je le rassure et lui précise que nous avons l’habitude ; nous arriverons avec trois tenues différentes chacune. En plus des options proposées sur place par la costumière, cela devrait largement faire l’affaire.
Entre 2004 et 2012, nous avons enchaîné plusieurs de ces tournages pour le cinéma ou la télévision. Si certaines rencontres ont donné lieu à de sincères amitiés, je pense à Zabou Breitman et Virginie Lemoine, d’autres se sont soldées par de belles déceptions, je pense à Fabrice Luchini et Fred Testot. Question de considération vis à vis de figurantes cantonnées dans un rôle de putain ? Ou tout simplement d’humeur non réceptive ces jours-là ? La seconde éventualité serait moins blessante que la première, qui trahirait, à leurs yeux, l’absence totale de composition dans notre jeu. À la vie comme à l’écran, chacun fait souvent son cinéma sans se préoccuper de ce qui se cache derrière la réplique. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons appris à relativiser. L’image du transsexuel est sujette à des appréciations très stéréotypées. Le préfixe trans ne semble guère retenir l’attention de l’observateur lambda, qui préfère se focaliser sur l’écho sexuel de notre identification, écho qui rebondit invariablement sur les mêmes clichés. Paradoxalement, c’est ce composant ‘’sexuel’’ qui motive avec la même intensité le mépris ou l’intérêt manifesté à notre égard. C’est lui qui, mal compris ou assumé par certains, va déclencher agressivité et injures en pleine rue, mais c’est lui aussi qui va nous propulser sur le devant de la scène et le générique d’un film. Nous avons donc appris à vivre avec cette étiquette et son ambigüité sans en rajouter dans un sens ou dans l’autre. Ici bas, tout le monde a ses grandes joies et ses petites contrariétés. On ne va pas en faire une affaire d’état !
…
Le jour J, une escouade de choc se retrouve vers midi près de Bagatelle, aux abords du Bois de Boulogne. Le groupe de combat est solidement constitué par Geovanna, Brésilienne aussi douée pour la comédie que pour la création de costumes, Olivia, native des Marquises capable d’écrire une chronique et de la chorégraphier avec élégance, Diana, à la palette de danseuse et peintre aussi colorée que sa Colombie natale, Jenny, Tahitienne au doux sourire et au tamouré (danse tahitienne) émouvant, et moi-même, Brigitte, qui pour une fois, ne m’étais pas couchée aux aurores. Le responsable du casting nous félicite pour notre ponctualité et nous accompagne sur les lieux du tournage, en plein Bois de Boulogne. La loge maquillage est spacieuse mais presque superflue car nous sommes arrivées déjà prêtes. Nous pratiquons tout de même quelques retouches indispensables. On est féminine ou on ne l’est pas !
La seconde étape nous mène chez la costumière et son assistante. Toutes deux voient débarquer cinq créatures impeccablement coiffées et fardées. Perchées sur des talons affûtés, nous culminons à une hauteur moyenne de 1m90 et la petite assistante est obligée de lever la tête bien haut pour nous parler. Je crains un instant qu’elle n’attrape un torticolis. L’habilleuse en chef est agréablement surprise par nos choix vestimentaires. Ces tenues ont la ‘’pertinence’’ souhaitée mais elles sont également assez distinctes pour ne pas doublonner. Différentes mais complémentaires. Du coup, nous sommes très en avance sur le planning initial et on nous suggère de rejoindre le chapiteau cantine avant la scène pour laquelle nous sommes programmées, vers 16h00. Deux gardes du corps sont appelés à la rescousse pour nous escorter sur place. Diana est flattée, Jenny est un peu étonnée. Elle se demande si cela est réellement indispensable. Geovanna lui garantit qu’elle va être vite fixée.
La réponse ne se fait guère attendre. Distance estimée entre notre point de départ et notre point d’arrivée : environ 350 mètres. Conditions climatiques assez douces d’un après-midi d’automne ensoleillé. Fréquence des coups de klaxons sur notre passage : environ une quarantaine à la minute ! En effet, cette partie du bois jouxte une allée très fréquentée où les professionnelles officient avec assiduité. Nous sommes donc identifiées comme telles et ce ne sont pas nos tenues qui vont démentir ce préjugé. Les voitures ralentissent mais, étant donné la présence de nos deux cerbères, d’ailleurs assez impressionnants, les conducteurs n’osent pas s’arrêter. Ils redoublent donc d’acharnement sur leur avertisseur sonore, témoignages d’envie et de dépit mélangés. Certains font demi-tour et repassent à vitesse plus que modérée, selon un rituel d’usage maintes fois réitéré en ces lieux…
Nous tuons une petite heure sous la tente réfectoire, à faire connaissance avec une partie de l’équipe, entre coca, café chaud et thé glacé. D’après le préposé aux boissons, il n’y a jamais eu autant de monde à cette heure les jours précédents. Un curieux hasard pousse bon nombre de techniciens à venir se désaltérer en même temps que nous. À se demander qui est vraiment présent sur le site du tournage afin de peaufiner les derniers réglages ? Nous sommes enfin appelées sur les lieux du crime… Enfin, un tout petit crime, un criminou de rien du tout. Denis Podalydès, vendeur d’armes pas clair, se fait balancer d’une grosse berline noire en plein Bois de Boulogne par l’homme de main d’un conseiller ministériel peu scrupuleux, campé par André Dussolier. Nous sommes là pour toiser le malheureux avec une incompréhension teintée d’hostilité, alors que la voiture redémarre en l’abandonnant à un sort incertain. Aucune réplique à déclamer si ce n’est quelque vague interjection ou simulation de remarques entre nous. C’est un rôle de silhouette, le degré juste au dessus de la figuration. On a besoin de nous voir mais pas de nous entendre. Un peu comme dans la société, en somme.
…
Notre quintette de péripatéticiennes émérites s’acquitte de sa tâche avec brio, mais comme dans toute scène de cinéma qui se respecte, il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Une fois, c’est le son. Une autre fois, c’est la lumière. Une fois, c’est la voiture qui redémarre trop tard, ou trop tôt. Une fois, c’est un jogger bizarre, sorti d’on ne sait où, qui traverse en plein champ de la caméra ! Il peut y avoir aussi un ou deux ratés à cause des acteurs principaux, mais ça, en général, on ne le dit pas. On invoque toujours une autre raison pour justifier la nécessité d’une énième séquence sans froisser la susceptibilité des intéressés. Bref, au bout d’un nombre indéterminé de répétitions de la même scène, une pause de trente minutes est décrétée, le temps de procéder à quelques réglages techniques et à un visionnage sommaire des rushes. Le réalisateur s’engouffre dans le camion-régie. André Dussolier passe quelques coups de fil avec son téléphone mobile. Le direphot (directeur de la photographie) joue son rôle de chef opérateur en maintenant ses équipes sous pression, et nous, nous sommes invitées à rester sur place en attendant la reprise du tournage. Il ne nous reste plus qu’à faire les mille pas sur le bitume boulonnais. Presque une double figuration ! La portion de route où nous tournions est ré-ouverte à la circulation le temps de cet entracte inopiné. Lumière voilée sur des arbres mordorés, la fin d’après-midi s’est installée. Dans ce décor particulier, notre présence et nos silhouettes font plus vrai que nature. Allumer une cigarette revient alors à déclencher un feu de forêt fantasmatique. Un peu à l’écart des véhicules techniques et des groupes électrogènes trop bruyants, mais surtout sans la présence des gardes du corps, nous aimantons les véhicules de toutes sortes qui, cette fois, n’hésitent pas à s’arrêter.
Évidemment, l’inaltérable « C’est combien ? » fuse automatiquement de la vitre passager abaissée. Geovanna répond en donnant l’heure : « Six heures et demi, futebol, samba et champagne ! ». Elle fait semblant de ne rien comprendre et baragouine un franco-brésilien tout à fait farfelu. Penchée à la portière, elle offre en sus une vue plongeante sur un décolleté plus que généreux, qui ne fait qu’augmenter le désarroi de son interlocuteur malchanceux. Olivia et Jenny ont toutes les peines du monde à retenir leur fou rire. Diana donne du ‘’Mon Chéri’’ à tout le monde et prétend qu’elle n’est pas libre parce qu’une voiture de l’Élysée doit venir la chercher. Un automobiliste incrédule lui demande si elle se fout de sa gueule. Pile à cet instant, surgissent deux motards de la police nationale, suivis d’une voiture banalisée. Ils s’arrêtent à notre hauteur et l’automobiliste s’en va, on ne peut plus décontenancé. J’imagine avec délectation sa perplexité. En réalité, ils viennent voir si tout se passe bien sur le tournage. Je fais mine d’être apeurée et leur dit que je n’ai pas mes papiers. Ils rigolent et me demandent où est André Dussolier. Geovanna, qui n’en manque pas une, leur dit que ce n’est pas son secteur et qu’il tapine un peu plus bas ! « Vous êtes vraiment des marrantes » nous répondent-ils alors que le chef de la sécu vient les informer que notre tournage prendra fin avant 22 heures, comme spécifié dans la déclaration faite à la préfecture.
Les forces de l’ordre reparties, le ballet des voitures reprend de plus belle. Une Mercedes grise stoppe à ma hauteur et son conducteur, qui ressemble vaguement à Ben Affleck, me demande le tarif. Je ne me démonte pas et répond très sérieusement : « 500 euros » !
– Quoi ? 500 euros ? T’es vachement chère !
– Oui, mais je les vaux bien !
– Et qu’est-ce que tu fais pour 500 euros ?
– Houla ! Des choses que t’imagines même pas !
Diana, qui a entendu le début de la conversation arrive en renfort : « C’est vrai ce qu’elle te dit. Si tu l’essayes, tu ne pourras plus jamais t’en passer. En plus, Brigitte, elle est française 100 % ! » J’avoue que je ne m’attendais pas à cette précision. Et encore moins à la réaction de mon ‘’client’’, qui prend cette information comme un argument de vente déterminant.
– C’est vrai ce qu’elle dit ta copine ? T’es française à 100 % ?
– Ben oui ; ça ne se voit pas ?
– Si, maintenant que tu me le dis ! Mais quand même, 500 euros, c’est pas donné, surtout si tu ne me dis pas avant ce que tu fais.
– Écoute, il va falloir te dépêcher parce que dans vingt minutes, ça va augmenter.
– Comment ça, ça va augmenter ?!
– Ben oui. En plus de faire le tapin, je suis actrice et là, tu vois, je suis en train de tourner un film.
– Tu tournes un film X ?
– Euh… Oui, un film X (je n’avais pas du tout prévu cette réplique)… mais un film X à gros, à très gros budget.
– Ah ouais ? Et qu’est-ce qui me le prouve ?
– Ben ; tu ne vois pas le car régie, là juste derrière, et les camions techniques, un peu plus loin ?
Je n’ai pas le temps de terminer mon argumentation pourtant joliment improvisée. Un assistant de prod vient nous chercher. Comme je suis la plus éloignée, il me lance : « Brigitte, on tourne dans cinq minutes » ! Mon futur-ex-client est ébahi. Je lui dis que je n’ai plus le temps de discuter et tourne les talons pour rejoindre les autres. Il roule doucement à ma hauteur et insiste pour que nous nous retrouvions ici après le tournage. Pour m’en débarrasser, je réponds que j’en ai au moins pour une heure, et qu’ensuite nous devons tourner dans une autre partie du bois et donc que je ne veux pas le faire attendre toute la nuit, et patati et patata. C’est alors qu’il formule cette demande incroyable : « Mais entre les deux tournages, t’auras bien encore droit à une pause ? On peut le faire à ce moment là ! Je suis d’accord pour 300 euros ! »
De retour sur le plateau, je raconte cette histoire du mec dans sa grosse Mercedes à Geovanna, qui n’est pas plus étonnée que cela. « C’est la chance de la débutante, me dit-elle. T’as appuyé sur les bons boutons sans le savoir. Tu sais, chez ces mecs-là, au bout d’un moment, ça explose de tous les côtés. Le cerveau n’est plus en place dans leur tête. Ils pensent avec leur bite ! »
Silence ! On tourne. Moteur… Nous reprenons nos positions à l’identique et répétons la même séquence. Les réglages sont tip-top, la lumière idéale. À peine quatre ou cinq prises et c’est réglé en trois coups de cuillère à pot. La fin du tournage arrive presque trop rapidement. Il fait un peu froid mais nous sommes ravies de cette aventure, une de plus, accomplie ensemble. Le chef op’ vient nous féliciter. Il affirme que cette petite pause a fait du bien à tout le monde. J’ai envie de lui dire qu’elle n’en était pas vraiment une pour nous et que pendant ces vingt minutes, nous avons continué à faire notre cinéma. Les machinos enroulent leurs câbles. De cette journée de tournage, il ne restera sans doute que quelques secondes parmi l’heure et demie du montage final. Ce que nous ignorons encore, c’est qu’une fraction de ces minuscules secondes finira par figurer dans la bande annonce du film !
…
Le petit chapiteau cantine est déjà démonté. Maquilleuses et habilleuses ont disparu. L’accessoiriste referme ses coffres métalliques. Je demande à mes copines de ne surtout pas partir sans moi et je rejoins la loge principale. André Dussolier a fini de se changer et le régisseur me dit que je peux entrer. L’acteur m’accueille avec un petit sourire intrigué. Nous nous sommes déjà rencontrés cinq ans plus tôt, alors que j’officiais sur Pink tv. Il donnait vie à un merveilleux texte de Paul Fournel, ‘’Les athlètes dans leur tête’’. Je l’avais interviewé juste après sa performance seul en scène. Un merveilleux souvenir. Autre couleur de cheveux, autre maquillage, autre contexte, mon visage ne lui est pas inconnu mais je le sens s’interroger. « On se connaît, non ? » me dit-il. « Oui, on se connaît. Est-ce que je peux vous donner un indice ? » Ayant anticipé ce moment, j’ai appris la fin d’un texte qu’il interprétait à l’époque, ‘’Autoportrait d’un descendeur’’, évoquant magistralement le ski de descente. Amusé, il me prie de commencer. Je me lance : « Mes cuisses et mon dos sont intraitables, je porte sans cesse sur le menton la marque de la jugulaire du casque. Lorsque le starter me libère sur la rampe de départ, il libère des tonnes de travail. Après, il reste un descendeur sur la piste qui n’a plus ni yeux, ni tête, ni jambes et qui glisse pour arriver en bas de la montagne plus vite que les autres hommes. C’est la règle. »
André Dussolier a changé de sourire. Je sais qu’il a compris. Il vient de rabibocher mon visage et notre première rencontre. Je m’interromps. « Non, non… me dit-il, il faut aller jusqu’au bout. La chute est magnifique ». Je reprends, tout en savourant son jeu de mots malicieux à propos de la conclusion du texte : « Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, de repos absolu. Le repos du descendeur. Vous avez passé le grand gauche et le grand droit à fond, vous entrez dans le dévers et vous faites cette minuscule erreur de trajectoire, cette petite faute stupide (qui n’est pas d’inattention puisque les descendeurs ignorent l’inattention) qui vous tire quelques centimètres en dehors de la ligne idéale. Et là, c’est le vrai repos, le repos immense. Vous avez déjà perdu vingt centièmes, puis très vite un dixième et la course. Plus rien n’a d’importance, vous n’êtes plus un descendeur, vos muscles se relâchent, votre esprit se libère. Vous savez que vous allez vous casser la gueule ! »
Il applaudit et enchaîne : « Gaité Montparnasse, fin 2004, interview pour Pink tv ! » La mémoire associative n’est pas un mythe. La modestie et la gentillesse des vrais artistes non plus. À ma demande de réaliser une photographie avec mes amies, il répond immédiatement avec une générosité enthousiaste. Il conseille même au photographe de la doubler, au cas où, et s’en va aussitôt frapper à la porte de l’autre camion loge pour rameuter Thierry Frémont et Denis Podalydès. Re clic-clac ; c’est dans la boîte ! Tous trois s’enquièrent de petits détails significatifs sur notre ressenti et notre vie au sein de la société actuelle. Une pluie fine abrège la discussion et nous désertons les lieux à regrets, avec l’étrange sensation que nos souvenirs sont déjà un peu sur-ex.
Jenny s’en va avec Olivia et son ami. Geovanna, Diana et moi prenons place dans une seconde voiture. Nous laissons le Bois de Boulogne et son théâtre permanent derrière nous. Au moment de rattraper le boulevard périphérique, Geovanna se retourne et me demande : « Brigitte, et ton ami Ben ? »
– Mon ami Ben ? Quel ami Ben ?
– Tu n’as pas d’ami Ben ?
– Non, je n’ai pas d’ami Ben !
– Ah bon, tu as déjà oublié ?
– J’ai déjà oublié quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?!
– Oui tu as déjà oublié ton ami Ben, mais lui il ne t’a pas oublié.
– Qu’est-ce que tu me chantes ? Je n’ai pas d’ami Ben et puis c’est tout ! Je me souviens quand même du nom de mes amis. Il n’y a jamais eu aucun Ben parmi eux. Point final.
– Si, si, il y a un Ben.
– Écoute Geovanna, je pige que dalle à ce que tu me dis.
– Et bien demande à Diana s’il n’y a pas une grosse voiture grise qui nous suit depuis tout à l’heure ?
Et Diana de répondre : « Ah oui, c’est bien la Mercedes Ben… Et tu es en train de perdre 300 euros ! »
Au bois une affaire en BOIS de “rose”
Oui… mais attention aux épines !
Bientôt 2020 et rien ne change aux préjugés. Si tu as le malheur de réaliser un porno ou bien de passer sur scène dans un show de bondage (Shibari) devant 2000 personnes ou bien encore de faire du nu artistique, ta réputation est faite de putain de malade et bien plus encore. Mais si tu as deux portraits de toi exposés au musée d’art moderne de Rio de Janeiro au côté de Diane Arbus là on en parle pas.
Comme quoi les gens retiennent uniquement ton c..!!! Et te traite de trans sans connaître ta véritable histoire, ton parcours…
Julia.
C’est exactement cela, chère Julia. Toi et moi (et bon nombre de copines) savons bien à quel point ces préjugés ont la vie dure. La différence effraie et aveugle dès qu’on ne veut pas essayer de comprendre… ou simplement de communiquer.
Vous êtes superbes Mesdames! Respect à vous toutes.
Moi, la question que je me pose est : quand est-ce que que les chargés de casting français prendront des personnes trans pour jouer des persos cis non stéréotypés (boulangère, instit, ministre etc)….
https://youtu.be/7WvGJqWQHpQ
Hélas pour toi, il y à assez de femmes pour ce type de rôles… et peu de scenarios avec des trans “ministre”, à part dans le porno…
Je crois que la question que pose Irina est beaucoup plus simple et implacable. On peut la résumer à : pourquoi trouve-t-on normal de prendre des femmes pour jouer des rôles de transgenres ? Et la compléter par une autre interrogation : pourquoi les responsables de casting ou les directeurs de production ne font pas la démarche de prospecter un vivier d’artistes transgenres qui existe et répondrait tout à fait à la demande ?
Devant le puritanisme politiquement correct de plus en plus pratiqué par les médias et le monde du spectacle, choisir des artistes transgenres n’est pas “bancable” et pourrait étre interpreté comme une provocation politique… élections obligent !
Le politiquement correct est à géométrie variable et dépend de là où l’on se place. Barack Obama avait recruté dans son staff à la Maison Blanche une conseillère transgenre : Raffi Freedman-Gurspan, qui plus est métisse originaire du Honduras. Quant aux médias et monde du spectacle, ils multiplient les passerelles transgenres : Vogue, Vanity Fair, Bazaar, Time ont tous récemment mis le 3ème genre en couverture de leurs magazines. Pas plus tard que le 11 octobre dernier, c’était le Elle français qui plaçait à la une un top model transgenre brésilien : Valentina Sampaio.
https://o.nouvelobs.com/pop-life/20150819.OBS4428/barack-obama-embauche-sa-premiere-employee-transgenre.html
Nous vivons de plus en plus dans le monde de l’image, donc de l’apparence. Ne soyons pas choqués que les gens se trompent ; pour beaucoup l’habit fait le moine…
Non, l’habit ne fait pas le moine.
Très juste ! Mais je parlais d’une majorité qui juge sur l’apparence et ne cherche pas plus loin… Pour preuve : porte une mini, des bas et des talons sur un parking le soir et on te demandera le tarif… même si tu attends un ami qui vient te chercher en voiture ! Prends ta voiture “en fille” et passe un contrôle de police, soit tu tombes bien, soit c’est le fourgon et le contrôle d’identité avec les réflexions douteuses. Toujours les apparences ! Idem vis à vis d’un employeur qui découvre ton 3ème sexe par hasard. Rien à voir avec ton travail, mais dans un cas sur deux ; direction démission car cela gène l’image (une fois de plus) de l’entreprise, et même chez des patrons qui se disent ouvert d’esprit (vécu)..
Le monde, donc, change doucement… il y a de l’espoir !
À l’instar de celle des autres “minorités”, l’image des Trans reflétera toujours ce qu’elles laisseront transparaître d’elles-mêmes.
Ainsi, tant que nous ne nous investirons pas massivement dans la production de contenus audio-visuels engagés, que ce soit dans leur écriture et leur réalisation comme dans leur distribution ; préférant laisser à nos ennemis déclarés le soin de nous dépeindre selon leurs seuls préjugés, notre représentation sera toujours aussi dramatiquement chargée de poncifs toxiques et frelatés nuisant profondément à notre place, notre acceptation et notre intégration dans la société. Le pire étant que nos consœurs sont généralement bien plus polyvalentes et compétentes dans d’innombrables domaines, en particulier artistiques, que la plupart des autres composantes de cette même société, qui aurait pourtant tout à gagner en utilisant nos talents pour développer des secteurs extrêmement générateurs de richesses et d’emplois plutôt que les assigner prioritairement aux plus médiocres afin, selon ce bon vieux “principe de Peter”, de ne surtout rien bouleverser dans l’ordre, faussement présenté comme naturel, des choses.
J’aurais aimé(e) faire partie de cette troupe car j’adore porter des vêtements féminins. Je suis crossdresser
depuis que j’ai 5 ans. Je vis seul(e) avec ma mère et elle aime bien me voir en fille ; dés que j’ai un jour de libre, elle sort de mon armoire des vêtements de fille et je m’habille en lingerie et avec un chemisier et une jupe, je me sens bien comme ça. Je porte ces vêtements toute la journée. Je me sens femme et j’ai beaucoup de plaisir à regarder la dentelle de mes dessous. Le samedi, nous sortons toutes les deux faire les courses. Elle m’emmène dans un magasin de lingerie pour m’acheter des soutiens gorge, des gaines culottes, des collants. La propriétaire qui connait ma mère nous accueille bien avec un bonjour Mesdames, j’en suis ravie et là j’essaie toute sorte de soutif, de gaines culottes, de combinaisons. C’est mon jour de chance ; ma mère me félicite pour pouvoir porter ces vêtements de fille, je suis heureuse. Voilà pourquoi j’aurais aimer faire partie de ce groupe.