L’AUTOROUTE DU SOMMEIL
Sur le parking d’une station service d’autoroute, par un soir de retour de vacances, des badauds s’étaient attroupés autour d’un magnifique camion à l’arrêt. Moteur coupé mais tous feux allumés, ce semi-remorque imposant avait des allures de super-truck américain. Il distillait aussi un certain mystère. Le jeu et la disposition de ses innombrables lumières, la peinture sombre de sa cabine, les motifs et inscriptions plus clairs qui s’en détachaient contrastaient de façon énigmatique avec ses vitres teintées et l’intérieur invisible de l’habitacle. Impossible de savoir qui hantait et animait ce monstre de métal…
L’esthétique fascinante de cet engin on ne peut plus intrigant allait se nicher jusque sur la gomme siglée de ses pneus et les boulons blancs vissés sur la jante noire. Les gens prenaient des photos, admiraient l’animal d’acier et de lumière, puis ponctuaient leurs gestes de commentaires aussi divers que décousus :
– Il est magnifique : on dirait une machine du futur.
– Ça doit tirer pas mal de jus sur la batterie toutes ces illuminations, non ?
– Ça doit surtout bouffer pas mal de carburant un mastodonte pareil.
– C’est sûr ! Je l’ai vu arriver : le moteur faisait un bruit d’enfer, vraiment impressionnant.
– Oui, c’est vrai, mais personne n’a vu le chauffeur. C’est bizarre, non ?
– Le camion est là, silencieux et allumé depuis vingt minutes et rien ne bouge à l’intérieur.
– Si ça se trouve, c’est un Mad Max qui conduit, ou un Terminator de la route…
– Peut-être qu’il nous regarde en ce moment… Allez savoir ?
– J’aimerais bien entendre son klaxon. Ça doit être un truc de ouf !
…
Succombant au phénomène de Panurge, je me mêlai à la petite assemblée et pris quelques clichés de l’attraction du soir. Je m’approchai, face à la cabine, pour la photographier de plus près. Une dame, visiblement troublée par la situation, me recommanda la plus grande prudence : « Faites attention ; il pourrait démarrer d’un seul coup » ! Un flash traversa mon esprit. Je repensai un instant au film “Duel”, qui avait révélé le réalisateur Steven Spielberg dès 1971. Le temps de capturer quelques images, tout en essayant, il faut bien l’avouer, d’apercevoir le mystérieux conducteur et tout le monde avait disparu ! Comme une volée de moineaux qui s’éparpille brusquement pour s’envoler vers on ne sait où, mes congénères de parking avaient déserté les lieux, abandonnant la superbe machine à son étrange solitude. Mon étonnement dura quelques secondes. Alors que je me dirigeai vers mon véhicule pour reprendre la route vers Paris, quelques flashes et des rires attirèrent mon attention. Un peu plus loin, sur ma gauche, les anciens fans du camion flamboyant s’étaient rassemblés autour d’une camionnette blanche que je jugeai tout à fait anodine. Manifestement, ce n’était pas leur avis. Ils étaient en train de s’esclaffer tout en filmant et photographiant le côté droit de la fourgonnette. Une adolescente alla même chercher sa grande sœur afin qu’elle puisse, elle aussi, immortaliser l’instant sur écran.
Comment pouvait-on prendre un tel pied en des circonstances aussi banales et apparemment insignifiantes. J’eus la réponse en démarrant et en passant à côté du véhicule…
…