LE DERNIER DES BEVILACQUA
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Fils d’immigrés italiens originaires du Frioul, Daniel Bevilacqua naquit peu après la seconde guerre mondiale, le 13 octobre 1945 à Juvisy-sur-Orge, dans le département de l’Essonne. Son attirance pour la musique se confirma très tôt, dès l’âge de 7 ans. La chanson française lui fournit ses premières idoles : Édith Piaf, Georges Brassens et Gilbert Bécaud. Le blues prit rapidement le relais avec des personnalités telles que Robert Jonhson et John Lee Hooker. Le rock d’Elvis Presley élargit encore le champ des influences qui allaient donner corps à ses premières créations, signées Christophe, nom de scène choisi en hommage à sa mère et à une médaille de Saint Christophe qu’elle lui avait donné. À 16 ans, il se lança dans la grande aventure en fondant son groupe Baby Danny et les Hooligans (Danny en référence à son vrai prénom ; Daniel), chantant le plus souvent en yaourt, mais impressionnant déjà par son originalité.
Un service militaire et quelques années plus tard, il sortit son premier 45 tous en solo avec le titre “Reviens Sophie”, mais c’est un autre prénom féminin qui lui ouvrit les portes du succès. En 1965, “Aline” le propulsa au rang de numéro 1, non seulement en France, mais aussi en Belgique, en Espagne, en Turquie… jusqu’en Israël et au Brésil ! Les ventes de cette composition hybride entre balade, slow et blues passèrent allégrement le million de disques. Oiseau de nuit ébloui par les projecteurs, fan d’une Amérique fantasmée et de stars de cinéma sacrifiées, de parcours à la James Dean ou Marylin Monroe, Christophe prit rang parmi les vedettes françaises yéyé de l’époque. Un soir de cette même année, son producteur l’invite dans une cave de Saint-Germain, en compagnie d’Hervé Villard, qui triomphe lui aussi, à 19 ans à peine, avec sa chanson “Capri, c’est fini”, et d’une jeune chanteuse encore peu connue : Michèle Torr. Une idylle étrange et insensée s’empara des deux artistes et aboutit à la naissance d’un petit Romain, en 1967. Bien des années plus tard, la maman consentit quelques confidences : « On était un peu fous. Il me faisait conduire sa Jaguar Type E la nuit alors que je n’avais même pas le permis. On avait même fait un mariage secret, comme deux gosses… Il n’était pas prêt à être père. Mais moi je voulais garder cet enfant. Je venais de perdre ma maman, cet enfant, c’était le plus beau des cadeaux. J’ai su très vite que nous ne l’élèverions pas ensemble et je ne lui en ai jamais voulu. La vie nous a séparés. On a fait notre vie, nous nous sommes mariés chacun de son côté ».
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En 1971, Christophe épousa Véronique Kan, demi-sœur d’Alain Kan, autre chanteur atypique, et devînt papa d’une fille prénommée Lucie. De son propre aveu, il ne fut pas un père exemplaire : « Moi, je travaillais la nuit, et le matin elle poussait la porte du studio pour me dire ‘salut papa’. J’ai plus été un observateur que quelqu’un qui lui a appris la vie. Je l’ai regardée pour la comprendre, mais comment aurais-je pu être un professeur de vie ? (…) On a toujours été une famille disloquée. Ma famille, c’est ma fille Lucie. Elle a été près de moi jusqu’à ses vingt ans. Elle est photographe, c’est elle qui a fait toutes mes dernières photos ». Une rencontre décisive avec un jeune parolier nommé Jean Michel Jarre fut le prélude à la sortie, en 1973, de son quatrième album studio : “Les paradis perdus”. Ils récidivèrent dès 1974 avec un autre album intitulé “Les mots Bleus”, écrin de la chanson éponyme connue de tous. Explorateur de sonorités et de singularités musicales, Christophe traversa les décennies suivantes avec la même désinvolture, à la fois déroutante et familière, comme s’il cherchait à perdre son chemin pour mieux le retrouver.
Des marionnettes (1965) à la dolce vita (1967), des paradis perdus (1973) aux mots bleus (1974), de señorita (1974) à un succès fou (1983), en passant par petite fille du soleil (1975) ou boule de flipper (1987), ses compositions ressemblent à l’itinéraire d’un enfant gâté, qui veut tout dépenser et tout collectionner en même temps. Sans jamais s’arrêter. À la conquête d’un ouest imaginaire, au volant de puissantes voitures de sport italiennes ou de grosses américaines décapotables. L’auto-radio susurrant des mélancolies d’adolescence et le moteur ronronnant d’une douce nostalgie, jusqu’à en perdre lentement le souffle. En pleine crise du coronavirus, les journaux télévisés du vendredi 17 avril 2020 ont fait leur ouverture avec l’annonce de son décès, survenu au cours de la nuit précédente. Souffrant d’un emphysème (maladie inflammatoire des bronches), Christophe avait été hospitalisé à Paris le 26 mars dernier, avant d’être placé en service de réanimation puis d’être transféré à Brest.
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