UNE PREMIÈRE EN FRANCE ?
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Tilloy-lez-Marchiennes est une petite commune rurale, sur la D35, dans le département du Nord, en région hauts-de-France. Sur cette terre de contrastes, alternent des paradis verdoyants et boisés tels ceux du Parc naturel régional Scarpe-Escaut (le premier de France, créé en 1968) et des stigmates d’enfers tortueux, sous les traits d’anciens terrils miniers ou des secteurs pavés tant redoutés par les cyclistes du Paris-Roubaix. Jusqu’à ce samedi 22 mai 2020, rien ne distinguait Tilloy-lez-Marchiennes de milliers d’autres villages français du même acabit. Il a désormais une particularité notable : celle d’avoir élu une femme d’origine transgenre en tant que maire.
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Elle le dit elle-même, Marie Cau n’est pas une personne militante et c’est tant mieux : « Les gens ne m’ont pas élue parce que j’étais transgenre ou contre, ils ont élu un programme. C’est ça qui est intéressant : quand les choses deviennent normales, qu’on n’est pas montré du doigt ». Son conseil municipal l’a désignée par un vote significatif de 14 voix pour et un nul. En mars dernier, lors du premier tour des municipales, les candidats inscrits sur sa liste avaient recueilli entre 63,5 % et 73,1 % des suffrages, preuve que ses administrés approuvent largement son équipe, son projet et sa personnalité. En politique, comme dans la vie, l’étiquette ne devrait être qu’un détail. Ce qui importe vraiment, c’est le fond. La forme est secondaire, tout comme le genre. Lorsque Marie est arrivée à Tilloy-les-Marchiennes, il y a une vingtaine d’années, le sien était encore masculin, à l’instar de son parcours d’ingénieur (BTS Horticole + diplôme de technicien agricole) et de son passage dans l’armée. Sa transition s’est faite progressivement au cours des quinze dernières années et son évolution professionnelle l’a orientée vers le conseil en informatique. Aujourd’hui mère de trois enfants, et maire des 550 habitants de sa commune, elle s’est engagée à défendre « un modèle basé sur le développement durable, l’économie locale et les circuits courts, le social et le mieux vivre ensemble ». Un menu qui fleure bon l’humain, la solidarité et la proximité sociale. Tout l’inverse de ce que l’on peut vivre à Paris ou dans nos grandes métropoles de plus en plus désincarnées.
L’édile fraîchement nommé va sans doute devoir changer d’état civil pour plus de commodités administratives. Marie étant son troisième prénom de naissance, elle avait pu, ainsi que le code civil l’autorise, l’utiliser couramment jusqu’à présent. Maire et Marie, il n’y a de toute façon qu’à rebattre les cartes et redistribuer les lettres… Au delà de ce cas particulier, il faut reconnaître que le législateur français a longtemps été à la traîne sur la question du changement d’état civil. Sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, la situation a fort heureusement (mais lentement) évolué. En 2020, pour modifier son sexe à l’état civil, il n’est plus nécessaire de suivre un traitement médical ou subir une opération chirurgicale irréversible. Il faut simplement être majeur et démontrer que le sexe indiqué sur l’état civil ne correspond pas ou plus à celui de la vie sociale. La requête est adressée au tribunal de grande instance (du lieu de résidence ou du lieu de naissance). Le juge rend sa décision après examen du dossier (témoignages, documents, photographies, audience de la personne, etc…).
L’élection de Marie Cau au poste de maire, aussi modeste soit la commune concernée, est essentielle à plusieurs titres. Elle accentue la visibilité du troisième genre de façon positive en ancrant sa représentativité dans un socle institutionnel qu’il nous est encore difficile de pénétrer. Au XXIème siècle, la transidentité est un thème souvent abordé, mais souvent maltraité. Il est généralement malmené selon un mode caricatural et binaire, qui va du plus clinquant au plus sombre. Les médias se plaisent à en abuser sous l’angle stress ou sous l’angle strass. Soit on plonge dans le drame familial, la précarité, l’exclusion, la prostitution, la psychiatrie, le meurtre, le suicide… soit on surfe sur la mode, le glamour, la télévision, le cinéma, le spectacle, la presse people, la vie d’artiste… On passe de la galerie des Glaces à la cour des Miracles. Et si on a le malheur d’employer le terme transsexuel ou travesti, c’est encore pire. Demandez à un Français lambda la première chose qui lui vient alors à l’esprit et il vous répondra Bois de Boulogne ou Cage aux Folles. C’est le plomb ou l’éther. Je n’exagère pas. La représentation stéréotypée qui en résulte est délétère. Le troisième genre est toujours envisagé à la marge. Il n’est pas intégré. Reporter à Pink tv ou pour Canal +, combien de fois ai-je entendu : « Vous êtes transgenre et vous êtes journaliste ? Ça alors… Bravo, vraiment ! ». Comme si j’avais surmonté un handicap considérable, comme si j’avais terrassé une anormalité patente. Même s’ils ne pensent pas à mal en disant cela, ils trahissent un jugement cliché et l’image du transgenre anormal, au sens statistique ou psycho-sociologique du terme.
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Marie Cau est l’un des meilleurs antidotes possibles contre ce mal récurrent. Avant elle, quelques personnes transgenres s’étaient déjà hissées au rang de conseiller municipal en France, mais le statut de maire semblait inaccessible. Comme le souligne Stéphanie Nicot, essayiste et critique littéraire transgenre, également co-fondatrice de l’ANT (Association Nationale Transgenre) en 2004 et présidente de la Fédération LGBT en 2014 : « Marie Cau est à ma connaissance la première personne transgenre élue maire en France, bien que des personnes aient pu passer sous les radars, préférant ne pas rendre cela public. Cette élection montre que, même si la France est très en retard sur toutes les questions relatives aux minorités, nos concitoyens sont de plus en plus progressistes et qu’ils choisissent leurs élus en considérant la valeur des individus indépendamment de leur identité de genre. » Il reste, évidemment, encore de nombreuses marches à gravir mais celle-ci compte double. Elle déconfine notre communauté et lui fait gagner un peu de légitimité dans la société. Pour cela, on te salue, Marie.
Nul doute que la nouvelle élue va devoir répondre à quelques sollicitations inhabituelles dans les jours à venir. Sur son journal Facebook, celles de l’AFP et Mediapart se mêlent aux congratulations des proches et des anonymes. Parmi elles : « Toutes mes félicitations ! Je ne connais pas vos appartenances politiques, mais qu’importe. Vous ouvrez une porte qui, j’espère, ne se refermera jamais. » , « Bravo madame la Maire, enfin une avancée de poids dans les mentalités, heureux mandat ! » . Les 226 amis du profil risquent fort de croître et se multiplier. Se promener sur ces pages est plaisant. Outre diverses informations administratives, on y découvre des publications vantant les qualités du maroilles ou annonçant une conciergerie rurale, nouveau concept qui permet de rentabiliser des activités (vente de produits locaux) et des services en les mutualisant. Les mentions j’aime forment un joli patchwork local : compagnie théâtrale, ferme avicole, soutien contre la fermeture de l’école, gîte rural, café musical, matériel agricole, coiffure à domicile, organisme communautaire, implication écologique, domaine associatif… Un inventaire à la Prévert rafraichissant.
J’ignore comment se nomment les habitants de Tilloy-lez-Marchiennes, mais je sais désormais où se trouve ce petit village sympathique qui, sans rien perdre de son identité et de ses traditions, voit plus loin que ces grandes cités orgueilleuses dont les dirigeants brassent du vent. Ils ne cessent de parler politique de transition et mélange des genres sans en appliquer la moindre amorce, sans plus savoir vers quoi ils sont en marche. Sans se soucier de qui est qui, ni de ce qui est mieux pour tous. En 24 heures à peine, Marie Cau et ses administrés ont déjà pris une sérieuse avance sur la route du changement intelligent. Un changement à dimension humaine que l’on comprend sans doute mieux là où les maisons sont alignées par souci d’égalité. Comme le chantait ce sudiste d’Enrico Macias : « Les gens du Nord ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors ».
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Bel article, merci.
Les habitants de Tilloy-lez-Marchiennes = les Tillotins ou les Tillotines
— vu https://www.commentappelleton.fr/habitantde/tilloy-lez-marchiennes-nord/
Merci à vous pour cette précision. Et merci à eux pour l’exemple donné. Quant aux politiques qui font tout le contraire à longueur de mandat, je leur proposerais bien, juste pour se remettre à niveau… un passage à la Tillotine.
À travers cette première en France, brillante défense du troisième genre
Au moins les mentalités changent… dans la France profonde. Peut-être qu’un jour à Paris… bisous les filles !
Très belle histoire ……et bien réelle en plus…
Ça donne du courage ; espérons que d’autres exemples apparaitront.
En tout cas quoi qu’il arrive je trouve Marie pleine de grâce !!!
Et c’est rare quelqu’un qui est beau mais pas seulement en apparence, d’autant plus que la beauté intérieure est si peu présente dans les hautes sphères hélas.
Merci pour ce beau texte et pour vos commentaires bienveillants.
Oui, les choses évoluent, enfin mais il reste un chemin à parcourir.
N’ayons pas peur.
Soyons vraies.
Pardonnons.
croyons en notre destin.
Bises Marie
Merci, chère Marie, pour cette réponse complice. Et surtout félicitations réitérées pour cet exemple à suivre et la voie que tu viens d’ouvrir.