HORS CATÉGORIE
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Chaque année, le Tour de France propose son lot d’émotions et de surprises, agrémenté aussi, parfois, de sorties de route étonnantes. Celle qui vient de se produire en marge du peloton et de sa chevauchée fantastique est l’une des plus stupéfiantes et disproportionnées que l’on n’aurait osé imaginer. Orchestrée par la consultante sportive de France télévisions, Marion Rousse, elle a volé la vedette, durant ces dernières 24 heures, aux seuls qui la méritent vraiment : les forçats du cyclisme professionnel. J’en suis tombée de mon vélo d’appartement ! Mais reprenons ce mauvais feuilleton étape par étape.
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Dimanche 6 septembre 2020, le journal L’Humanité publie un dessin caricaturant Marion Rousse en train d’interviewer son compagnon, le coureur français Julian Alaphilippe. Assise en petite tenue sur le bord du lit, elle lui demande : « Julian, pouvez-vous répondre aux questions de France tv ? ». L’œil exorbité et la langue pendante, il lui répond : « Viiiii !! ». On est tous et toutes d’accord : la vignette n’est pas drôle et la saillie tombe à plat. Espé, le dessinateur, en a convenu lui-même, en présentant ses excuses et son explication : « Je suis vraiment désolé, désolé, désolé. (…) Mon but n’était absolument pas de blesser. Je n’ai pas pensé à mal. C’est juste de la caricature. J’ai voulu évoquer la porosité entre médias et sport et j’ai voulu m’inspirer des dessins de Tex Avery. Je me suis planté. Quand un dessin n’est pas compris, c’est une erreur, mais je n’aurais pas pensé que ça prenne de telles proportions ».
Proportions ? Le mot est faible. Marion Rousse a enfourché ses grands chevaux médiatiques et s’est aussitôt mise en danseuse sur Twitter : « Désabusée, @humanite_fr porte de plus en plus mal son nom. Il faut n’avoir aucun respect des femmes, de la femme, pour rabaisser à ce niveau six ans de consulting sportif à la télévision ». Les réseaux dits sociaux, en un ou deux mots, ne se sont pas faits prier pour monter l’affaire en épingle. Les innombrables suceurs de roue qui y sont légion n’attendaient que ce top départ pour jeter de l’huile sur le feu. Les renforts journalistiques et féministes n’ont pas tardé à rappliquer pour mouliner de plus belle. On a eu droit au couplets ravageurs sur l’humour sexiste et vulgaire, l’image dégradante de la femme, la négation du professionnalisme de la grande championne, etc, etc… J’ai assisté, effarée, à une multiplication de publications lapidaires sur internet, de débats sur des chaînes d’infos, de commentaires corporatistes… le tout à sens unique, entièrement à charge contre un dessinateur ayant reconnu son erreur et présenté ses excuses, et contre un quotidien dont la diffusion d’à peine 36.261 exemplaires en 2019 (probablement réduite comme peau de chagrin dans un futur proche) aurait pu susciter quelque élan de miséricorde. Que nenni. Ce fut haro sur le baudet jusque lundi soir.
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Résultat des courses : Espé, le dessinateur, et Antoine Vayer, ancien entraîneur cycliste devenu chroniqueur sportif pour l’Huma, ont été virés, désavoués et disqualifiés par leurs anciens coéquipiers. Le journal a rétropédalé de façon fort peu solidaire en twittant : « Nous partageons totalement l’indignation devant ce dessin. Nous l’avons rapidement dépublié. Il est contraire aux valeurs de @humanite_fr, qui promeut la dignité des êtres humains et le combat féministe. Nous prions @Roussemarion de nous excuser de ce manque de vigilance. ». Comme si cela ne suffisait pas, la société des personnels de l’Humanité a transmis à l’AFP le communiqué suivant : « Une telle publication est contraire à l’histoire du journal. Toutes celles et ceux qui nous lisent régulièrement savent que nos titres se battent au quotidien pour l’émancipation féminine et défend des valeurs d’égalité universelle. Nous espérons que le manque de vigilance qui a conduit à cette situation ne se renouvellera pas. Nous nous réjouissons de l’arrêt de la collaboration entre notre quotidien, le dessinateur Espé et le chroniqueur Antoine Vayer dont ce dernier illustrait les textes ». Y’a pas à dire : ça donne envie de signer dans la même équipe ! Outre le fait que la dernière phrase est rédigée en très mauvais français (on peine à comprendre qu’Antoine Vayer rédigeait des textes illustrés par les dessins d’Espé), cette prise de position dans le sens du vent et le désaveu brutal de toute une rédaction entretient une impression très dérangeante. On navigue dans l’excès, entre la délation et la trahison, le reniement et l’exécution en place publique. Pour le procès, on verra plus tard.
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Sans vouloir jouer les Dupond-Moretti de service, la cause des lampistes de l’Huma n’étant pas si désespérée, j’aimerais remettre en perspective trois points essentiels, curieusement passés sous silence. Premièrement, Marion Rousse, qui à plusieurs reprises, s’est défendue de jouer les jolies blondes dans un monde de sportifs et de journalistes, n’a pas toujours rejeté cette image, au demeurant tout à fait respectable. Lorsqu’elle a été engagée pour réaliser les photos sexy d’un calendrier du même nom, elle a joué, certains diront surjoué, sur le même registre, celui qu’elle a vertement dénoncé et que les féministes qualifieront immanquablement de sexiste et dégradant pour la femme. Décolleté plongeant sur l’asphalte brulant, cuisse et épaule savamment dénudées dans l’attente d’un dépannage improbable, guêpière cambrée et jarretelles au vent derrière un panneau d’auto-stoppeuse fantasmatique… Et ces regards… Tous les codes de séduction on ne peut plus explicites sont réunis. Les signaux envoyés ne sont guère équivoques. Comment reprocher dès lors à un caricaturiste de forcer le trait en utilisant la même palette ? Si Espé l’avait croquée à l’identique, en talon aiguille et robe échancrée, mèches blondes laissant filtrer un air mutin qui lui va si bien, demandant à son conjoint de troquer son maillot jaune contre celui de meilleur grimpeur, le dessin aurait-il été plus drôle ? La satire mois critiquable ? La réponse n’appartient pas à elle seule, ni aux censeurs de tous bords qui récusent ce qu’il fantasment, mais Marion Rousse aurait pu riposter de manière bien plus astucieuse qu’en initiant cette tartufferie générale, dont, au final, je ne suis pas certaine qu’elle tire grand bénéfice. L’autodérision et le second degré constituent souvent la meilleure des répliques, prenant à leur propre jeu les arroseurs arrosés. Marylin Monroe, blonde parmi les blondes, savait en jouer à la perfection, dans ses réparties et ses écrits.
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Le deuxième point qui m’a titillé l’occiput concerne le qualificatif de grande championne française, qui lui a soudainement été attribué par la génération spontanée de ses soutiens. Dans le sport comme dans le journalisme, un peu d’objectivité n’a jamais fait de mal à personne. Oui, Marion Rousse a été une championne. Non, elle ne fait pas partie des grandes championnes du cyclisme français. Sinon, que dire des Jeannie Longo, Pauline Ferrand-Prévot, Félicia Ballanger, et autres Julie Bresset ou Anne-Caroline Chausson ? Elles ont toutes trusté les titres de championnes du monde et les médailles olympiques, parfois dans plusieurs disciplines simultanément. Marion Rousse a effectué une très courte carrière professionnelle (2011 à 2014) qu’elle a interrompu à 24 ans seulement. Monsieur Wikipédia résume son palmarès en trois lignes : Ronde de Bourgogne 2011, championne de France sur route 2012, et 3ème du grand prix de Plumelec… soit trois belles journées dans un cursus sportif relativement modeste. Cela n’enlève rien à son mérite d’athlète féminine et ses qualités de commentatrice, mais il ne faut tout de même pas se tromper de dossard.
Le troisième point relève d’une hypocrisie à géométrie variable selon le politiquement correct du moment et d’une prérogative de jolie gueule, comme il existe un délit de sale gueule. Évidemment que le physique avenant de Marion Rousse a pesé dans la balance de son recrutement en tant que consultante à la télévision. Nous venons de voir que sur le plan du palmarès et de la carrière sportive, que d’aucuns prétendent prioritaires, elle ne figure pas vraiment dans le peloton de tête. Nier ce critère esthétique au nom d’une parité en marche est une absurdité. Hommes et femmes ne sont pas jugés à l’aune des mêmes standards. La présentation des JT est édifiante. Pour un Laurent Delahousse beau gosse, à la mèche frontale savamment travaillée, on sent bien qu’on a foutu une paie royale sur ce plan aux Jean-Pierre Pernaud, David Pujadas et autres Gilles Bouleau. Il n’en va pas de même pour leurs homologues féminines. Anne-Sophie Lapix, Audrey Crespo-Mara, Anne-Claire Coudray se doivent, en plus d’être compétentes et intelligentes, d’être belles et séduisantes. Remonter dans le temps confirme la démonstration. Laurence Ferrari, Audrey Pulvar, Carole Gaessler, Claire Chazal, Béatrice Schönberg, Marie-France Cubada, jusqu’à Christine Ockrent ou Anne Sinclair ont toutes en leur temps composé avec ce paramètre à double tranchant. Paramètre dont les Bruno Masure, Jean-Claude Narcy, Roger Gicquel, Daniel Bilalian, Jean-Claude Bourret, jusqu’à Yves Mourousi ou Léon Zitrone, n’eurent guère à se soucier. Pourquoi réfuter une évidence qui n’enlève rien à personne dès lors qu’on y fait face sans se tromper d’ennemi ou de combat ?
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Contrairement à ce que certains pourraient penser au sortir de cet article, j’éprouve toujours de la sympathie pour la petite Marion que j’avais découverte en 2017 sur France 2. Elle est jeune, et comme disent les entraineurs, elle a une belle marge de progression. Les bad buzz à la Hapsatou Sy ou Danièle Obono ne sont pas pour elle. Ça finit toujours dans la voiture balai. J’espère qu’elle s’en rendra compte. Savoir choisir ses amis, les vrais, est préférable. Le mois dernier, lors d’un dîner entre journalistes, une vague connaissance commune raillait son passage d’un maillot jaune à un autre. Je n’ai pas compris tout de suite qu’il parlait de l’ancien époux de Marion, Tony Gallopin, et de son nouveau compagnon, Julian Alaphilippe. Sa plaisanterie, d’un goût douteux, contraste avec un second message du dessinateur Espé à l’attention de Marion Rousse : « Visiblement, mon dessin n’a pas du tout été compris et je m’en excuse. Sur le fond, je souhaitais mettre en avant l’ambigüe porosité entre média et sportif, et de ce côté là, le pare-feu médiatique mis en avant montre que je n’étais peut-être pas dans le faux. Ce dessin a été retiré très rapidement. Je ne dessine pas pour blesser quiconque. Seuls les dessinateurs sont blessés ou abattus quand ils tentent de défendre une liberté de la satire qui leur tient à cœur. Vous avez reçu les excuses du rédacteur en chef et vous avez les miennes. Ce dessin caricatural n’existe donc plus, sauf dans vos relais médiatiques. J’ai pris la décision de faire enlever tous mes dessins des chroniques précédentes, et je ne dessinerai plus pour le journal. Ainsi, j’espère que cette autocensure vous satisfera. Cordialement. ».
La grande boucle de cette petite histoire finit en nœud coulant. Cet hallali qui se termine en hara-kiri est excessif à bien des égards. Cela constituera une victoire pour certain(e)s mais Pyrrhus n’est pas loin. La réaction, ou l’absence de réaction, de Marion Rousse sera révélatrice. Ce triste épilogue la place dorénavant dans une position de chasse patate toujours embarrassante. Parmi les ardents défenseurs de Marion Rousse, l’un des tout premiers à afficher son indignation véhémente à l’encontre du dessinateur fut ce même collègue qui, lors du fameux dîner, lui plantait allégrement des poignards dans le dos à propos de sa vie privée et de ses champions de maris successifs. Je le fis remarquer à une copine latina qui prie chaque année pour une victoire colombienne sur le tour de France. Je lui soufflai : « La pauvre Marion classe ce mec parmi ses amis et ses soutiens alors qu’il n’a de cesse de la dégommer dès qu’elle a le dos tourné. Tu te rends compte si tu avais une planche pourrie comme ça comme équipier et que tu doives lui filer ta roue en dépannage d’urgence ? ». Elle me fusilla du regard et, sans se dégonfler, me répondit du ausitôt : « Filer ma roue à une ordure pareille ? Plutôt crever ! »
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L’humour est interdit en France ! Incroyable !
Et on se demande pourquoi les gens font triste mine.
On défend le droit de se moquer de Jésus et Mahomet, mais pas de Marion, nom de dieu !
Très belle, et irréfutable, réflexion.
Ce n’est visiblement plus le courage qui anime,
ni qui étouffe, une certaine presse.
Et celle ci de s’étonner que plus personne ne se penche sur elle,
y compris sur le trône, pour torcher ses petites fesses.
N’osant même plus la parcourir, fusse :
“d’un derrière distrait”
comme la cernait si bien le très regretté P.Desproges
qui de rire, savait si bien nous fair mourir,
d’autant plus connaisseur en la matière, qu’il y avait pataugé,
de son costume immaculé, tel une fleur de lotus,
sans avoir “les mains sales” ni “la nausée”. 😛
Merci pour cette belle analyse d’une atteinte catastrophique à la liberté d’expression. Espé
C’était le minimum que je pouvais faire… À l’époque, j’ai regretté que les émissions Le Set de Pink TV ou Le Grand Journal de Canal +, dans lesquelles j’officiais n’existent plus. J’aurais repris le sujet dans une chronique encore plus cinglante.
Bravo, je ne l’aurais pas mieux dit !
La censure progresse malheureusement jour après jour sur le dessin de presse et les caricatures, en particulier sur Facebook où on nous a encore supprimé un dessin de Charb soit disant haineux dans le groupe que j’anime consacré à ces dessins. Nous venons de le passer d’ailleurs en groupe privé afin d’éviter encore des signalements et des sanctions…
Triste monde.
Effectivement, la kalachnikov n’est plus la seule option terroriste…
Quelle histoire affligeante.
Soutient total au dessinateur et à la liberté d’expression.
Superbe chronique. Merveilleusement ecrite et ciselée. Le fond et la forme, tout y est. Une petite friandise, une belle plume, dont je me suis delecté plusieurs fois. Merci.
Merci également à vous pour ce commentaire qui me va droit au cœur. L’écriture est un plaisir étrange, à la fois solitaire et solidaire. Savoir qu’il est partagé le rend encore plus agréable. Dans la même thématique sportive (qui était une de mes spécialités à Pink tv et Canal +), mais dans un registre différent, en version vidéo, je vous suggère le sujet en lien ci-dessous… en espérant prolonger encore un peu notre connivence.
Encore merci, et peut-être à bientôt.
https://www.brigitteboreale.com/2019/09/10/20-000-vains-mille/
Très belle réflexion, analyse poussée, avec le double-sens de la chute vraiment comique !
Bravo et merci !
Etonnant que vous mettiez en avant la courte carrière sportive de Marion Rousse et sa jolie frimousse, mais aucunement ses pourtant vrais talents de commentatrice… Et aucun commentaire publié à ce sujet… à croire que vous et vos observateurs ne devez pas souvent regarder et écouter le tour de France… Ou que les commentaires publiés sont choisis… J’ose espéré que vos réactions ne sont pas le fruit d’une simple mais basse jalousie…
Mon cher Tartempion. Je pense que vous n’avez pas bien lu, ou bien compris, l’angle d’attaque principal de mon article. Il était de défendre la liberté d’expression de la presse et du dessin satirique. Et accessoirement de combattre une hypocrisie générale, en même temps qu’une réaction personnelle (celle de Marion Rousse) excessive et contradictoire. On ne peut jouer sur le registre sexy lorsque cela vous arrange et crier au scandale lorsque cela vous dérange. Quant aux talents de commentatrice de l’intéressée, on ne doit pas voir ou écouter les mêmes émissions. Je suis le Tour de France dans son intégralité depuis fort longtemps. J’ai connu des époques où d’immenses commentateurs étaient à l’œuvre : Robert Chapatte, Léon Zitrone, Pierre Salviac, Jean-Paul Ollivier, Patrick Chêne… Ils avaient pour qualité particulière celle de savoir rendre compte de l’action sportive sur le terrain, tout en élargissant à l’envi le traitement de l’information, qui dans une dimension historique ou géographique, qui dans un domaine sociologique ou psychologique, qui avec une coloration philosophique ou humoristique, voire poétique, à l’instar des écrits d’Antoine Blondin ou Albert Londres sur ce même Tour de France. Ces temps sont révolus. Aujourd’hui les commentaires en direct sont stéréotypés dans un descriptif sans grand relief. Marion Rousse n’est pas la seule en cause, ses acolytes de plateau baignant dans la même platitude, mais elle, aurait pu, aurait dû, profiter d’une identité à part pour apporter, justement, quelque chose de nouveau, de plus frais, de plus surprenant, de plus original. Comme beaucoup de ses consœurs journalistes ou commentatrices sportives, elle stagne malheureusement au même niveau que ses confrères masculins. Il est toujours subjectif de juger de la qualité des choses me direz-vous, de même que vous pouvez me reprocher de placer la barre un peu haut en citant les illustres prédécesseurs susnommés. Certes, mais dois-je vous rappeler que c’est vous qui avez évoqué «les vrais talents de commentatrice» de Marion Rousse ? À mon humble avis, dans votre formulation, il y a un, voir deux mots de trop. Enfin, pour clore le débat, et le déplacer du qualitatif (toujours sujet a discussion) vers le quantitatif (beaucoup plus factuel), je vous suggère de vous livrer à un petit exercice distrayant la prochaine fois que vous assisterez à une retransmission télévisée dans laquelle Marion Rousse se trouve partie prenante. Amusez-vous à chronométrer ses interventions et son temps de parole par rapport à ceux des autres participants. Le résultat, qui ne vous amusera sans doute pas autant que moi, est éloquent. Ceci dit, sans aucune basse jalousie de ma part, après 40 ans de carrière en presse écrite nationale et télévisuelle, catégories masculine et transgenre cumulées…