LAMENTABLE !
De gauche à droite en haut : Laurent Luyat, Yoann Offredo, Alexandre Pasteur.
En bas : Marion Rousse, Laurent Jalabert, Thomas Voeckler.
Décalé de juillet à septembre pour cause de Covid-19, le Tour de France 2020 a pris des allures inhabituelles, malgré une météo estivale qui a semblé prolonger le même décalage. Plus clairsemé que de coutume, le public a tout de même tenu à hommage aux coureurs cyclistes, étape après étape. Le soleil étant au rendez-vous, on pouvait se dire que tout irait pour le mieux. C’était sans compter les débats navrants et les commentaires douteux foisonnant de pseudo-spécialistes squattant après course les plateaux tv.
…
Ce jeudi 17 septembre, la 18ème étape, longue de 175 km, menait les coureurs de Méribel à La-Roche-sur-Foron, sur des routes escarpées et sinueuses, entre Savoie et Haute-Savoie. Avec plus de 4000 mètres d’ascension et des cols alternant des pentes allant de 6,1 % à 11,2 % (Cormet de Roselend, col des Saisies, col des Aravis, plateau des Glières), le programme était copieux. Pourtant, une trentaine de coureurs audacieux s’échappait dès les premiers kilomètres. À mi-course, après les Saisies, ils n’étaient plus que cinq, puis quatre, puis trois, puis deux pour attaquer la dernière épreuve herculéenne de la journée, avec la montée du plateau des Glières : un calvaire de 6 km à 11,2 % de moyenne. Fait rarissime dans le cyclisme de haut niveau, ces deux ultimes échappés appartenaient à la même équipe !
…
Ayant uni leurs efforts jusqu’au bout, Michal Kwiatkowski (bras levé, à droite sur la photo ci-dessus) et Richard Carapaz ont passé la ligne d’arrivée ensemble, avec près de deux minutes d’avance sur leurs poursuivants. Ce faisant, ils ont offert l’une des plus belles images que le sport parvient encore à fournir en de trop rares occasions. Celle des deux athlètes qui s’apprécient et se respectent, qui ont pris des risques et souffert ensemble, et ont finalement décidé de ne pas se livrer une lutte fratricide pour arracher le ruban de la victoire en retombant dans la dictature du chacun pour soi. On les a vu discuter un peu avant l’arrivée et se mettre d’accord : à l’équipier modèle Michal sa première victoire d’étape après sept participations dans le Tour de France, et à Richard, exceptionnel durant ces derniers jours en montagne, le maillot à pois du meilleur grimpeur. Outre le fait que cette répartition des honneurs, très équitable sur le plan sportif, est pleine de bon sens, l’exemple montré par ces deux coureurs a remis au goût du jour des valeurs humaines trop souvent absentes dans un domaine où le “moi d’abord” prime de façon tyrannique. Générosité, entraide, abnégation, probité, partage et altruisme ont éclaboussé les écrans en offrant à la planète (le tour de France est l’un des évènements les plus médiatisés au monde) un tableau des plus émouvants. La beauté et la noblesse de ce geste aurait du faire l’unanimité… Et bien non ! Lors du vélo club de France 2, émission blabla quotidienne qui suit les retransmissions en direct, il s’est trouvé des intervenants grincheux (on peine à les qualifier de journalistes) pour critiquer cette conduite exemplaire.
Laurent Jalabert, qui fut pourtant l’un des champions préférés des Français, tenta d’expliquer que la compétition devait balayer toute autre considération que celle du résultat brut et que les deux coéquipiers auraient dû s’étriper au sprint pour conclure l’étape comme il se doit. Alexandre Pasteur, illustre journaliste sportif justement méconnu, transfuge d’Eurosport vers France Télévisions en 2017, est monté d’un cran dans l’ineptie, arguant que cette initiative chevaleresque allait à l’encontre de la concurrence sportive et frustrait le spectateur, qui, du coup, se retrouvait privé d’un final au couteau. On croit rêver !
…
Laurent Loufiat, grand passeur de plats et expert en cirage de pompes devant l’éternel, joua les Ponce Pilate de service en relançant la question sans prendre parti, alors que les images de cette arrivée extraordinaire le rendaient bien falot. Yoann Offredo et Marion Rousse, représentants parfaits de la parité bgbc (belle gueule beau corps) en vigueur parmi les équipes de chroniqueurs tv, eurent le courage d’affirmer un jugement contraire et de louer la décision des deux coureurs victorieux. Alexandre Pasteur, la tête de gondole du mouvement ronchon, s’empressa alors de minimiser l’appréciation de Marion en la qualifiant de bucolique. Au passage, il est intéressant de remarquer que cette attaque perfide a ciblé l’unique représentante féminine du plateau, et non Thomas Voeckler ou Yoann Offredo, les deux anciens coureurs qui étaient pourtant du même avis que Marion. Un hasard, sans doute… mais un hasard réitéré. L’adjectif bucolique fut répété et persiflé à plusieurs reprises, y compris en conclusion de l’émission, pour brocarder le commentaire -et la personnalité- de Marion.
Bucolique… le terme m’avait interpellée et laissée quelque peu perplexe. J’ai vérifié sa signification dans le dictionnaire : « Bucolique : relatif à la vie des bergers, ou qui appartient à la poésie pastorale » ! Soit Alexandre Pasteur est un orateur surréaliste, percevant et exprimant des concepts inaccessibles à nul autre que lui, soit il commet des contresens dans lesquels il s’enferre allégrement, tel un descendeur encastré dans le premier parapet venu. On peut toujours se tromper, mais il est peu vraisemblable que Marion ait des velléités de grande poétesse pastorale, ou qu’elle entretienne une vie cachée avec des bergers. L’explication de ce pataquès est sans doute plus prosaïque. Probablement, notre ami Alexandre a-t-il confondu bucolique avec sentimental, romantique ou fleur bleue, montrant là sa grande maîtrise de la langue française. Rappelez-moi la profession de ce donneur de leçons ? Au moins, cela relativise son expertise à tous les niveaux. Si j’étais médisante, j’ajouterais qu’ignorer le sens d’un adjectif qui réfère à la poésie pastorale quand on se nomme Pasteur, est véritablement un comble.
…
Mais rendons aux héros du jour les lauriers qui ne vont pas à César. Vainqueur du Tour d’Italie en 2019, Richard Carapaz est devenu l’actuel meilleur grimpeur du Tour de France. Champion du monde sur route en 2014, Michal Kwiatkowski a enfin accroché à son palmarès une victoire d’étape dans un grand tour. Sous l’étendard anglais de l’équipe Ineos Grenadiers, le champion équatorien et le champion polonais ont livré une formidable bataille, en repoussant toutes les frontières. Ils ont écrit une superbe page de l’histoire du Tour de France, avec l’art et la manière. Une de celles dont on se souvient, épisode sportif marquant, comme lorsque Björn Borg remportait un match de tennis après avoir remis une balle de set jugée en sa faveur, mais que lui avait vu faute. On s’éprend, un jour lointain, de voir un footballeur intègre refuser un penalty douteux, et rectifier l’erreur de l’arbitre au lieu chercher à la provoquer, en plongeant et en valdinguant à l’excès, comme tous les simulateurs précoces de sa génération. Ce jour-là n’arrivera peut-être jamais dans le football. Le cyclisme a connu d’autres problèmes, mais avec le dénouement de cette journée atypique, le Tour de France 2020 renoue avec le sport que l’on aime. Le duo Kwiatkowski / Carapaz a doublé notre plaisir en prouvant, malgré les registres officiels et les rabat-joie de mauvaise foi, qu’il pouvait y avoir deux vainqueurs pour une même étape.
C’est vrai que de nos jours, tout ce qui s’évade du chacun pour soi semble devenir une aberration. L’esprit collectif, quel que soit le sujet abordé, devient une abjection pour le commun des mortels. Pauvres de nous. Où sont passés les mousquetaires du “un pour tous, tous pour un” ?
Septembre 2020, mois du fair-play! Avant le fait évoqué par votre fil,
Diego Mentrida allait gagner une place et obtenir la médaille de bronze quand il a préféré accomplir un geste d’un fair-play exemplaire. — dimanche 13 septembre au triathlon de Santander
https://www.huffingtonpost.fr/entry/ce-triathlete-decide-dattendre-son-adversaire-se-trompe-de-chemin_fr_5f64a622c5b6de79b6738c2f?utm_hp_ref=fr-homepage
—
Et en bas de page une video intitulée “Ces petits footballeurs ont bien mieux compris le fair-play que leurs aînés” — lors d’un but, tous les joueurs (y compris adversaires) se congratulent