UNE BEAUTÉ INTELLIGENTE
Elle fit ses débuts au cinéma en 1965, dans un film dont je me souviens très bien pour l’avoir vu enfant : “La tête du client”. Le scénario loufoque était servi par une bande de joyeux drilles qui avaient pour noms Francis Blanche, Jean Poiret, Michel Serrault, Darry Cowl, Jean Richard, Sophie Desmaret, Jacques Legras… et Caroline Cellier, qui, du haut de ses 20 ans, avait déjà obtenu deux prix importants au théâtre (le prix Gérard Philippe et le prix Suzanne Bianchetti). Ce film fut aussi l’occasion d’une rencontre capitale ; celle avec Jean Poiret, de 19 ans son aîné, qui tomba tout de suite amoureux, et qui partagea sa vie et sa passion jusqu’à sa mort en 1992.
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Aussi à l’aise au théâtre qu’au cinéma ou à la télévision, Caroline Cellier fit partie de ces actrices rares que l’on regrette de ne pas avoir vu assez souvent. Elle avait une beauté intelligente, une sensualité troublante, un charisme mystérieux. Très tôt, elle interpréta des rôles majeurs dans des films marquants, distillant son jeu si personnel dans “Que la bête meure”, entre Jean Yanne et Michel Duchaussoy, dans “Mille milliards de dollars”, entre Patrick Dewaere et Charles Denner, et dans “L’année des méduses”, entre Bernard Giraudeau et Valérie Kaprisky. Son regard était envoûtant. Il exprimait souvent plusieurs sentiments simultanément, comme s’il faisait à la fois les questions et les réponses, nous plongeant dans une énigme dont il était impossible de ne jamais vraiment trouver la clef.
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Même dans les longs métrages où le scénario ne lui réservait pas la part du lion, son signe astrologique, elle surgissait toujours avec une grâce particulière, comme dans “L’emmerdeur”, avec Jacques Brel et Lino Ventura, ou dans “Didier” avec Alain Chabat et Jean-Pierre Bacri. Des années 1980, qui furent celles de sa consécration (avec “Mille milliards de dollars” d’Henri Verneuil, “Surprise Party”, de Roger Vadim, “L’année des méduses”, de Christopher Frank, “P’tit con”, de Gérard Lauzier, “Poulet au vinaigre”, de Claude Chabrol…), aux années 1990, qui la virent explorer d’autres registres (avec “La Contre-allée”, “Le Zèbre”, “Farinelli”, “Délit mineur”, “Didier”…), elle resta fidèle à son image ; celle d’une comédienne élégante et cérébrale, d’une actrice emblématique, porteuse d’un charme subtil et fascinant. En quarante ans d’une carrière inclassable, elle réussit à concilier théâtre et cinéma tout en s’impliquant sur le long terme dans des séries télévisées et des téléfilms exigeants.
À l’annonce de son décès à Paris, ce mercredi 16 décembre 2020, je me suis souvenu de l’une de ses déclarations : « On peut avoir peur de la maladie, d’être handicapé mais on ne peut avoir peur de la mort. Depuis que je suis toute petite, je me dis qu’on va mourir demain. » Dans le contexte que nous vivons actuellement, cette confession prend une résonance particulière. Je me suis également rendu compte, en répertoriant mes souvenirs à son sujet, que Caroline Cellier n’avait pas pris une ride. Certes, elle s’était fait plus discrète ces dix dernières années, mais sa trace demeurait vive et précise dans nos mémoires, à l’instar de son jeu sur scène.
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Ce style épuré et incisif, mêlant douceur et autorité, n’a plus guère de représentantes dans le cinéma actuel et c’est bien dommage. Caroline Cellier, tout comme Marie-France Pisier, Stéphane Audran et Michèle Mercier, incarnait une étrange variante de féminité et de volonté. D’une apparente fragilité, elle faisait une force, une tendre ténacité, propre à émousser les virilités ou les armes les plus dures. Sa voix, son regard, ses attitudes distinguées, ses interrogations silencieuses, ses cheveux aux ondulations délicieuses, tout en elle plaidait la cause de la femme capitale. Et ses mains ! Elle savait toujours placer ses mains à la perfection. L’observer était un régal.
« Je suis plein de femmes à la fois. Mes rôles me font avancer aussi bien dans mon métier que dans ce que je suis. », confiait-elle dans un entretien accordé au journal Le Figaro. Au théâtre, cela lui permit de passer de William Shakespeare à Tennessee Williams, en cheminant par Molière, Marivaux, René de Obaldia, George Bernard Shaw, Oscar Wilde, Harold Pinter, Félicien Marceau et Pierre Étaix. C’est aussi, sans doute, ce qui lui permit d’interpréter des rôles touchants, tel celui de Lilas, cette prostituée attachante du film “La Contre-allée”. Caroline Cellier n’en a peut-être pas eu conscience, mais elle a aussi contribué à faire avancer d’autres femmes dans leur vie. Elle leur a fait entrevoir d’autres perspectives à une époque où celles-ci étaient singulièrement occultées par une ribambelle d’a priori sexistes. Et parmi celles qui ont suivi la voie qu’elle avait tracée, d’autres femmes, d’origine transsexuelle, l’ont également prise en exemple. Sans peur des préjugés ni des diktats de la société. Sans honte ni crainte des contre-allées.
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