UNE PREMIÈRE POUR UNE ACTRICE TRANSGENRE !

…
C’est une première. C’est une pionnière. Michaela Jaé Rodriguez est, à ce jour, l’unique et première actrice transgenre à avoir décroché un Golden Globe ! Dimanche 9 janvier 2022, à Hollywood, elle a été sacrée meilleure actrice dans une série dramatique et a ajouté une marche supplémentaire à la fierté LGBT. Un tel événement ne s’était jamais produit depuis la création, en 1944, de ces prestigieuses récompenses de cinéma et télévision. Comment cette artiste américaine a-t-elle réussi une telle prouesse ? En suivant le fil d’une existence hors du commun :

À sa naissance, le 7 janvier 1991, l’état civil de la ville de Newark, dans le New Jersey (USA), l’enregistre sous une identité masculine, mais très tôt, elle se sent, elle se sait différente. Dès l’âge de 7 ans, elle a deux rêves qui vont rapidement se confondre avec la réalité : devenir femme et vedette de cinéma. Sa mère l’inscrit dans une filière théâtrale au New Jersey Performing Arts Center. À 11 ans à peine, elle monte sur les planches. À l’adolescence, elle découvre la Ball culture et l’univers des maisons (house), qui constituent un système communautaire d’entraide et de soutien envers des jeunes gays et transgenres, essentiellement noirs ou latinos. On y développe leurs aptitudes à se produire sur scène et leurs compétences dans plusieurs domaines : danse (vogue), musique, chant, stylisme… Les différentes maisons s’affrontent lors de bals parfois très longs où sont organisées des compétitions selon différents thèmes ou catégories. Ces maisons, dont certaines sont devenues légendaires, répondent à des appellations hautes en couleurs et sont dirigées par des « mères » et des « pères » qui veillent du mieux qu’ils peuvent, psychologiquement et physiquement, sur leurs jeunes protégés. Mj Rodriguez en incarnera un exemple saisissant dans la série “Pose”.

…
Diplômée de la Newark Arts High School, et du Berklee College of Music, elle obtient en 2009 la bourse Star-Ledger et un Young Arts first level scholarship. Le nom de scène “Mj” Rodriguez survient en référence à Mary Jane «MJ» Watson, un personnage de fiction issu de l’univers Marvel, rousse flamboyante et fêtarde, qui n’est autre que le grand amour de Peter Parker, allias Spider-Man ! Une manière bien à elle de commencer à tisser la toile sur laquelle elle rêve de s’illustrer plus tard. Tout en poursuivant ses études au collège, Mj Rodriguez s’investit de plus en plus dans le théâtre et se fait remarquer par une actrice qui l’encourage à auditionner pour le Off Broadway de “Rent”, une comédie musicale adaptée de l’opéra de Puccini “La Bohème”. Non seulement elle obtient un des rôles principaux, mais elle se voit décerner, en 2011, le prix Clive-Barnes pour sa performance.

Sa carrière est lancée, mais la question de sa transition se fait de plus en plus pressante. À 14 ans, elle avait fait son coming out bisexuel/gay. En 2012, elle décide de faire une pause afin de se recentrer plus sérieusement sur elle-même. Elle entame une thérapie hormonale en 2016 et informe son agent que, désormais, elle ne postulera plus à aucun rôle masculin. Durant cette période délicate, avec sa maman en cheffe de file, sa famille lui apporte un soutien inconditionnel. De son propre aveu : « Ma mère est ma plus grande pom-pom girl ». Mj Rodriguez fait tout de même quelques apparitions en télévision : “Nurse Jackie” en 2012, “The Carrie Diaries” en 2013, “My Life” et “Luke Cage” en 2016, ainsi qu’au théâtre : “Runaways Off-Broadway” et “Street Children” en 2016.
…

…
2017 marque un retour en force de l’actrice, tout d’abord au théâtre, avec “Trans Scripts: Part 1, The Women”, et “Burn All Night”, mais aussi au cinéma, avec deux courts métrages : “Gema” et “Bun in the Oven”, et surtout dans le film “Saturday Church”, où elle campe un adolescent fugueur qui explore son identité de genre. Comme à son habitude, elle se fait remarquer par le grand public et la profession. Sa prestation lui vaut une nomination pour le prix de la meilleure actrice au Festival du Film de Tribeca. À la fin de cette même année 2017, commence le tournage de “Pose”, qui va lui apporter une consécration qu’elle n’espérait sans doute pas si tôt.

Cette série télévisée américaine “Pose”, diffusée en 2018 par la chaîne FX, petite sœur du réseau hertzien Fox, et programmée en France sur Canal + la même année, plonge le spectateur dans le New York underground des années 1980, la Ball culture, le voguing repris par Madonna, plus un melting  pot socio-culturel dans lequel se télescopent influences queer, nouvelles tendances littéraires, dures réalités des quartiers populaires et clinquant d’un luxe pré-Trump. Mj Rodriguez y incarne le rôle principal de Blanca Evangelista, mother au grand cœur, responsable d’une maison de ballroom new-yorkaise, avec ses illusions et ses déceptions, ses joies et ses drames, ses doutes et ses convictions. Outre Mj Rodriguez, Indya Moore, Dominique Jackson, Hailie Sahar et Angelica Ross y interprètent des partitions sur mesure. Le casting de Pose réunit la première plus grande distribution d’actrices transgenres de l’histoire de la télévision ! La réalisation d’un épisode a même été confiée à Janet Mock, journaliste transgenre d’origine hawaïenne qui fait ainsi ses premiers pas en tant que réalisatrice tv.
…

Dès les premiers épisodes (il n’y en a pas moins de 25, répartis sur 3 saisons), le scénario et le propos font mouche. On doute, on espère, on rit, on pleure… et on repart pour un tour ! Binge-watching garanti. Cette tragi-comédie est unique en son genre, si l’on peut se permettre cette expression. Ses personnages principaux et ses protagonistes récurrents sont aussi attachants qu’énervants, aussi glaçants qu’émouvants, aussi redoutables que vulnérables. Ils nous bringuebalent dans une essoreuse à sentiments. Au milieu de ce maelstrom d’émotions, Mj Rodriguez garde le cap d’une solidarité à toute épreuve. Plus d’une fois, le bateau tangue et file vers les écueils annonçant l’inévitable naufrage. Elle écope du mieux qu’elle peut, avec ses forces et ses faiblesses, en essayant de transmettre inlassablement un amour et une humanité sur lesquels elle s’arcboute de tout son être. On a envie de lui ressembler. Transgenre ou pas, on aimerait intégrer sa maison, ou au moins, devenir son amie.

En 2021, Mj Rodriguez était déjà entrée dans l’histoire avec une nomination aux Emmy Awards, les Oscars de la télévision, pour le rôle principal dans une série dramatique. Elle était devenue la première actrice trans nominée pour un Emmy dans une catégorie d’acteur principal. Le trophée lui avait échappé de peu, au profit d’Olivia Colman (The Crown) mais elle n’avait pas pris cela comme une défaite, au contraire. Elle avait alors déclaré : « Pendant longtemps, je n’ai pas eu l’impression de mériter ces choses. Il y a tellement de choses contre nous lorsque nous nous identifions comme trans. J’avais toutes ces insécurités mais j’ai l’impression d’être enfin entré dans un endroit où les gens peuvent me comprendre en tant qu’être humain ».
…

…
Avec ce Golden Globe retentissant, 2022 vient de rétablir l’équilibre, et même davantage. La balance penche enfin du bon côté. Fidèle à ses convictions, Mj Rodriguez n’a pu s’empêcher de partager avec toute sa communauté ce prix historique et symbolique. En légende d’une vidéo postée sur son compte Instagram, elle a écrit : « C’est un sacré cadeau d’anniversaire. Merci ! C’est la porte qui va ouvrir plein d’autres portes pour encore plus de jeunes individus talentueux. Ils vont voir que c’est plus que possible. Ils vont voir qu’une jeune femme afro-latina du New Jersey qui avait un rêve, celui de faire changer les mentalités, l’a accompli avec amour. À tous mes bébés LGBTQAI, nous y sommes ! La porte est maintenant ouverte pour atteindre les étoiles ».

Toujours ce credo altruiste et optimiste. Pour un peu, elle s’excuserait d’avoir du succès. Après le tournage de la série “Pose”, Mj Rodriguez est apparue au cinéma dans “The Big Take” (2018) et “Disclosure” (2020), mais dans un registre assez confidentiel. Pour la plateforme Apple TV+, elle devrait bientôt être à l’affiche d’une série comique avec Maya Rudolph, actrice et productrice en vogue au USA. Toutefois, on piaffe de retrouver Mj Rodriguez dans un autre répertoire. En 2019, elle avait été élue meilleure actrice de télévision aux Imagen Awards, récompenses destinées à « encourager et reconnaître les représentations positives de Latinos dans l’industrie du divertissement ». Parmi les lauréats précédents, sont cités des artistes tels Andy Garcia, Antonio Banderas, Rita Moreno et Jennifer Lopez… Reste à espérer, avec son Golden Globe 2022, que les producteurs reconnaissent son talent et lui proposent des rôles, non pas d’un autre genre, mais d’une autre dimension. Afin qu’elle tisse enfin sa toile sur grand écran.
…