“ 1970 ”
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Elle s’appelle Reina del Cid et cela fait un petit moment que je la suis sur internet. Rachelle Cordova, pour l’état civil, est une chanteuse guitariste américaine originaire de Minneapolis, dans le Minnesota (USA). Avec sa complice Toni Lindgren à la guitare électrique, elle a repris avec brio bon nombre de standards pop. Durant ces dix dernières années, elle a sorti quatre albums originaux : Blueprints, plans en 2012, The Cooling en 2015, Rerun City en 2017, et Morse Code en 2019. Un cinquième, intitulé Candy Apple Red, vient d’arriver en cette fin avril 2022. Parmi les titres proposés, “1970” est un petit bijou de musique et de poésie. C’est l’histoire de…
C’est l’histoire de… C’est l’histoire de… Laissez-moi me souvenir. Laissez-moi vous expliquer. C’est l’histoire d’une femme victime de la maladie d’Alzheimer, cette pathologie neurodégénérative incurable qui se caractérise par la perte progressive et irréversible des fonctions mentales, et notamment de la mémoire. Ce mal m’a toujours effrayée de par la camisole invisible qui nous ligote tout à coup le cerveau, de par cette torture mentale qui persécute sans pitié le patient et ses proches. Sait-on vraiment comment est perçue la souffrance de l’autre côté de la mémoire ? Y-a-t-il des rémissions, plus ou moins fugaces, des éclats de conscience qui, brièvement et encore plus cruellement, permettent à ceux et celles qui en souffrent de se rendre compte de l’impasse dans laquelle ils ou elles s’enfoncent inexorablement ? Et qui permettraient, l’espace d’un répit, d’y mettre fin définitivement ?
Outre ses capacités de compositrice, Reina del Cid (elle prit ce pseudonyme en référence à la littérature espagnole et à sa guitare, baptisée « El Cid ») fait montre, avec ce texte, d’une magnifique création poétique. Cette femme, probablement octogénaire si l’on imagine qu’elle a vécu ses plus beaux moments dans les années 1970, y est aujourd’hui emprisonnée dans une langueur hypnotique. Elle a un téléphone qui ne sonne jamais et tente des appels désespérés vers ses souvenirs. Ses meilleurs jours, la vie, ou plutôt la survie, les lui fait payer très cher. Entre ses cigarettes, qui consument l’illusion d’un amour évanoui, la télévision, qui l’assomme de rediffusions nocturnes, sa robe à carreaux démodée et la vieille Oldsmobile, la lumière de la cuisine constamment allumée et la chanson favorite de son couple, seule chose qui peut encore la faire danser, c’est toute une existence qui se déroule et se rembobine en boucle. Elle est restée scotchée dans les seventies, période heureuse et insouciante, incapable de savoir où elle se trouve ni ce qu’elle fait dans ce présent antérieur. Certains diront que ce n’est pas plus mal, vu la panade dans laquelle les années 2020 nous font patauger…
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Ce clip “1970” m’a obsédée trois nuits entières. Je l’ai passé et repassé sans arrêt, ayant pris soin d’intensifier les basses sur l’ensemble Harman Kardon de mon Imac. La batterie, délicieusement claire et lourde à la fois, comme des pulsations cardiaques, et si subtile par moments, comme lorsqu’elle simule une sourdine de téléphone (à 3:25), la lead guitare électrique, qui, tel un numéro composé ad libitum, finit par enrober son homologue rythmique, qui, elle, fait plutôt penser à une tonalité “occupé”, et ce final, en suspension… Tout sonne juste. Sommes-nous certains, finalement, de ne pas faire partie des parasites ? Je vous laisse en juger. Tout en sachant que certaines vérités ne se révèlent que bien plus tard.
1970
J’ai pris un téléphone, il ne sonne jamais.
Je passe juste des appels à mes souvenirs oh-oh…
Dans mes meilleurs jours je réalise que ces dernières années m’ont couté très cher.
Je fume des cigarettes, presque un paquet par jour,
En attendant que mon amant revienne vers moi, oh-oh…
Dans ma robe à carreaux, je sais que ça fait un long voyage jusqu’en 1970.
Joli cœur, la lumière de la cuisine est allumée,
Et je danse sur notre chanson favorite,
J’ai tant attendu, et j’espère que ça ne sera plus très long à présent.
Je ne sais pas où je suis, qui m’a mis ici,
Par une illusion d’optique, je me retrouve dans ma vieille Oldsmobile, oh-oh…
Tu vois, mes meilleurs jours sont les pires, car je vis ici, en 1970.
Joli cœur, ils ont allumé la télé,
Et je regarde des rediffusions toute la nuit.
J’attends toujours mais je sens que quelque chose cloche.
Ils m’ont pris mon téléphone, mais je l’entends encore sonner.
Je passe juste des appels vers mes souvenirs… oh-oh…
Je sais qu’il n’y a que des parasites, mais j’écoute encore…
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PS : Merci à ma fille Morgane d’avoir peaufiné, depuis Los Angeles, ma première traduction. En 2020, Reina del Cid s’est installée dans la même ville, sur la côte californienne. « Morgane, si jamais le hasard, ou la nécessité, te faisait la rencontrer, transmets lui mes salutations admiratives. Et mes souvenirs anticipés ».
Je n’y manquerais pas
Hello,
Merci pour ce lien et ce conseil: je ne connaissais pas et la découvre avec plaisir.
En parlant des années 70, j’aimerais te faire découvrir – ou redécouvrir ? – Rodriguez (AKA Sixto Rodriguez) – dont tu as sans doute entendu parler si tu as vu le merveilleux documentaire qui lui est consacré: Sugar Man / Looking For Sugar Man.
Dans celui-ci, on y apprend qu’il aurait pu devenir le nouveau Dylan, si le destin en avait décidé autrement, et je ne suis pas loin d’être d’accord avec cette affirmation. Malgré tout, ce documentaire lui a permis d’être réhabilité et de faire un comeback bien mérité.
Si tu ne connais pas ses deux albums des 70s donc (seulement deux à ma connaissance?), ça vaut vraiment le coup de les écouter attentivement pour se rendre compte à quel point tout ce qu’il dit et chante est toujours d’une actualité sacrément brûlante.
Vraiment une très chouette découverte aussi pour moi, et je suis sûr qu’en fan de Cat Stevens (AKA Yusuf now), tu vas aimer aussi. Je ne m’avance pas beaucoup, je pense…
Et j’ajoute que musicalement, ça tient sacrément la route, même aujourd’hui.
J’ai entendu qu’il refait des concerts et que ça ne se passe pas très bien: voix et jeu de guitare limites, problèmes d’alcoolisme… Bref. Il est … vieux maintenant, pour relier cette digression au thème de la chanson que tu as choisie…
Bises
Jay
Oui, Reina del Cid est vraiment intéressante. Je t’envoie quelques liens de ses reprises. Sixto Rodriguez est un cas aussi. Je l’avais découvert il y a 4 ou 5 ans et j’avais fait un petit papier sur lui. Et Cat Stevens… tant de good vibes dans les seventies. Beaucoup moins en Tant que Yusuf (notamment la polémique avec ses propos sur Salman Rushdie). Une sorte d’Alzheimer philosophique, peut-être ?
J’adore ces deux musicienes et belles voix
J’ai eu le bonheur de les voir sur scène à
Machelin en septembre dernier.
J’ai pu échanger un pick avec Toni, qui
est ma guitariste préférée.
Ouaouh ! J’en connais plus d’un et plus d’une qui auraient adoré partager ce moment privilégié.