UNE MISS UN STYLE
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Comme beaucoup de Parisiens, je n’ai longtemps connu d’elle que ses œuvres au pochoir qui ornaient les murs de la capitale. On la découvrait subrepticement, au coin d’une petite rue pas très bien éclairée, sur un mur oublié, une façade fatiguée, un commerce suranné. Plus le support était modeste ou anodin, plus son art émergeait avec force et produisait un contraste saisissant. Dans ses textes et ses dessins, il y avait toujours cet étrange mélange d’amour et d’humour, ces jeux de mots et d’images, délicieuses esquisses esquives qui nous évadaient, l’espace d’un regard et d’une évocation, bien loin de la grisaille urbaine et de l’ennui métropolitain. J’ai compris bien plus tard les fragilités qui ont fait sa force…
Radhia Novat est née à Paris le 20 février 1956, d’un père immigré tunisien, ouvrier, fort des Halles et d’une mère normande. Elle grandit à Montmartre, un quartier chéri des artistes, avant que la famille ne déménage à Orly en 1964. Le cadre de vie y est certainement moins riche et la mort va se charger de noircir le tableau deux ans plus tard. Sa mère, son frère et sa grand-mère décèdent brusquement en 1966, dans un accident de la route. En 1972, c’est au tour de son père d’être emporté soudainement par une crise cardiaque. Elle n’a que seize ans.
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Radhia termine ses études secondaires puis se tourne vers les arts appliqués. Maquette, photogravure, décors de spectacles, elle se forme à plusieurs techniques graphiques tout en découvrant le théâtre de rue, notamment avec la compagnie Zéro de Conduite. Paris est-il devenu trop petit ? Sent-elle qu’elle doit changer de vie ? En 1980, elle largue les amarres françaises pour voguer vers la Californie. De Los Angeles à San Francisco, elle navigue dans les milieux underground, avec tous leurs attraits et tous leurs dangers. Émergence du hip-hop et des graffitis, tourbillon punk, bouillonnement du street art et de la vidéo expérimentale, elle pagaye dans des rapides scabreux où le fric, la violence, la dope et les excès en tout genre sont autant d’écueils qui peuvent s’avérer fatals. Elle n’échappe pas aux mauvaises rencontres mais évite tout de même le pire. C’est finalement un dépit amoureux qui, deux ou trois années plus tard, va la faire chavirer et mettre fin à son périple américain. Mais ce trop-plein d’expérience vécue va abreuver sa nouvelle inspiration.
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Dès son retour en France, elle se rapproche des artistes de rue parisiens, peintres et graffeurs qui ravivent les vieilles façades, détournent les publicités, maquillent les affiches, décorent les palissades… Radhia devient alors Miss.Tic, pseudonyme tiré de la bande dessinée et emprunté au personnage de la petite sorcière obsédée par la récupération du sou fétiche de Picsou. « Elle est attirée par ce qui brille mais sa recherche n’aboutit jamais. », confie l’intéressée. Notre Miss.Tic à nous ne tarde pas à perfectionner sa technique du pochoir à la bombe aérosol. Sa marque de fabrique et son inspiration sont 100 % féminines. Une jeune femme à la belle chevelure noire, longtemps arborée par sa créatrice elle-même, apparaît de façon désinvolte et sexy, partageant l’affiche avec une sentence insolite jouant sur les mots et les impressions. Paris devient son laboratoire et son terrain d’expérimentation.
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En 1985, Miss.Tic décide d’adopter les murs de la ville comme support de son art naissant. Les quartiers de Montmartre, où elle a passé son enfance, et de Ménilmontant sont les premiers touchés. Ceux du Marais, des Halles et de Montorgueil suivent de près, ainsi que celui de la Butte aux Cailles, dans lequel l’artiste installe son atelier. Les passants découvrent régulièrement ses saillies picturales et textuelles avec étonnement et amusement. Son style est immédiatement identifiable. Sa signature, simple et espiègle, se retient instantanément. Ses créations interpellent et attirent la sympathie. Elles vont de l’œil au cœur. Elles transmettent ce sentiment mi langoureux, mi désabusé, entre illusion et désillusion, qui prolonge la réflexion vers un autre possible. C’est une sorte de poésie illustrée et malicieuse. Le tout premier pochoir, appliqué sur un mur du 14ème arrondissement, confirme l’intention sans équivoque :
« J’enfile l’art mur pour bombarder des mots cœurs ».
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Chacun y retrouve un peu de sa vie et de ses envies, de ses travers ou de ses revers, de ses humeurs ou de ses fantasmes, de ses folies ou de ses convictions. L’artiste intéresse de plus en plus de monde, à commencer par la créatrice de mode Agnès B, qui l’accueille dans sa galerie. Cette notoriété grandissante commence toutefois à lui attirer des ennuis dès le début des années 1990. Sa pratique nocturne du street art est illégale et la multiplication de tagueurs bien moins talentueux énerve sérieusement policiers, commerçants et propriétaires. L’un d’eux dépose une plainte qui entraîne son arrestation en 1997 et aboutit à sa condamnation en 1999, assortie d’une amende de 22.000 francs. Motif de la sanction : « détérioration d’un bien appartenant à autrui […] par des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain ». Le coup est rude mais pas fatal. Il va même initier de nouveaux soutiens et un nouvel élan. Miss.Tic change de stratégie. Lassée du jeu de cache-cache avec les autorités et de l’étiquette de délinquante que certains veulent lui accoler, elle négocie l’autorisation de “pocher” les murs qu’elle a repérés avec les mairies d’arrondissement et les associations de riverains ou de commerçants. Bingo ! Ce pari est gagné. Son Paris est conquis. L’engouement du public repart de plus belle et une nouvelle dynamique est enclenchée.
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Les années 2000 assoient définitivement son statut de pionnière du street art en France. Louis Vuiton, Kenzo et la marque japonaise “Comme des Garçons” font appel à elle. Claude Chabrol lui commande l’affiche de son film “La fille coupée en deux”. Le loueur de véhicules utilitaires UCAR la sollicite pour une campagne publicitaire. Le Victoria and Albert Museum de Londres lui ouvre ses portes. La Poste émet une collection de timbres représentant ses œuvres à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. La ville de Montpellier lui confie le design d’une ligne de tramway ; la miss succéde ainsi à Christian Lacroix. Le Fonds d’art contemporain de la Ville de Paris acquiert plusieurs de ses œuvres. De nombreux artistes la font apparaître dans leurs créations audiovisuelles… et l’on ne compte plus les galeries de renom qui l’exposent, en France ou à l’étranger.
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Miss.Tic n’a plus à se soucier du revers de la médaille. Elle impose une patte et une plume empreintes de mystère et de sensibilité. Féline volatile, la grand-duchesse au pochoir noctambule sillonne Paris des jours et des nuits pour y semer ses ressentis et ses fantaisies. Elle farde l’ennui de la ville avec ses dessins autant qu’avec ses mots. Parmi les nombreuses phrases à tiroir qui accompagnent les jolies silhouettes de ses femmes brunes et sexy, quelques exemples illustrent parfaitement sa manière de polir les jeux de mots, doubles sens et paradoxes :
Le masculin l’emporte, mais où ?
Devenir simple, c’est compliqué.
La poésie est un luxe de première nécessité.
L’impôt sur l’infortune.
L’espoir fait vivre, le désespoir aussi.
On ne radine pas avec l’amour.
Regarde la réalité en farce.
Tes faims de moi sont difficiles.
Tuez le temps, il se venge.
Prends mes jambes à ton cou.
Je prête à rire mais je donne à penser.
J’ai du vague à l’homme.
Je suis dans la lune, ne la décrochez pas.
Pas d’idéaux, juste des idées hautes.
Est-ce que l’homme descend du songe ?
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À l’annonce de sa mort, des suites d’un cancer, le 22 mai 2022, le ministère de la culture lui rend hommage avec un communiqué de presse éloquent : « Accessibles à tous, ses pochoirs étaient à la fois drôles et canailles, tragiques et romantiques, tendres et violents, pudiques et érotiques. Elle tatouait nos villes et nos cœurs par la portée de ses mots et la beauté de ses dessins. La rue était sa galerie, le marcheur son visiteur, nos murs sa toile ; ses dessins des murmures qui captaient un instant notre attention, presque notre oreille ».
Décidément, Miss.Tic aura réussi à renverser tous les préjugés et à retourner en sa faveur ceux-là mêmes qui la condamnaient à ses débuts. Elle a fini par imposer sa loi, celle de ses rues, à ceux qui la poursuivaient en justice sans ménagement. Ironie du sort, il est même question aujourd’hui de donner son nom à une place ou une allée parisienne ! On ne peut s’empêcher de penser à tous ceux qui se sont acharnés à détruire ses créations des années durant, alors que sa cote ne cesse de grimper sur la scène internationale de l’art urbain…
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Excellent article d’hommage – merci beaucoup
Vif regret de son départ, vif et durable souvenir pour son art et son esprit
Dans un autre genre mais de qualité aussi, c’est Ernest Pignon-Ernest qui a 80 ans cette année
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ernest_Pignon-Ernest