À COUTEAUX TIRÉS
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Invitée à dîner chez un ami proche la semaine dernière, j’avisai, sur le plan de travail de sa cuisine, un ustensile singulier. Ce porte-couteaux métallique représentait une silhouette humaine, d’apparence masculine, lardée de cinq lames affutées, transperçant le corps au niveau des membres inférieurs, de l’abdomen, du thorax et de la tête. Une sorte de poupée vaudou version Scream. Remarquant mon regard intrigué et devinant ma perplexité, il me confia : « Original, cet accessoire non, tu ne trouves pas ? C’est un cadeau de ma future ex-petite amie. Notre rupture n’est pas encore consommée mais j’ai le sentiment qu’elle se doute de quelque chose… »
Je ne suis pas allée jusqu’au doctorat dans mes études universitaires de psychologie mais, sans grand risque de me fourvoyer, je ne lui ai pas caché que son interprétation me semblait, à première vue, assez pertinente. Voulant tout de même approfondir la question sans rester sur une première impression trop tranchée, je me risquai à lui demander, si ceci n’était pas trop indiscret, les causes de leur séparation imminente après deux ans de vie commune. L’avait-il trompée ? L’avait-elle trahie ? La perspective du mariage ou de la parentalité avait-elle eu raison de leur passion ?
Rien de tout cela apparemment. Selon lui, le véritable motif de leur désunion prenait source dans la téléréalité. J’hésitai : « La téléréalité ? Je ne comprends pas vraiment. Vous avez participé à une émission débile qui a fini par vous éloigner l’un de l’autre ? C’est ça ? ». Mon ami s’esclaffa tout en terminant de hacher menu les oignons et les champignons destinés à accompagner la pintade farcie au menu du soir. Il poursuivit en me livrant le fin mot de son explication : « Au début, ma chère et tendre était accro à Secret Strory. Ça n’était pas bien grave et je trouvais même sa naïveté assez amusante. Ensuite, ce fut le Bachelor et l’Ile de la Tentation, puis les Chtis à Ibiza, les Marseillais à Miami… et pourquoi pas les Laguiolais à Tolède ?! Mon poste de télévision était saturé de botox sous-cortical et vérolé de testostérone lobotomisante. Je n’en pouvais plus. Quand elle décida de gaver le disque dur avec les enregistrements en boucle des Anges de la Téléréalité, ce fut le pompon ! Il y a deux mois, elle m’a annoncé qu’elle voulait se faire gonfler les seins et les lèvres et que le cadeau idéal serait un séjour hors de prix dans une clinique spécialisée parisienne. Là, j’ai craqué. Je lui ai offert une pompe à vélo. Du coup, elle m’a offert ce magnifique porte-couteaux ! ».
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Ce fut à mon tour de partir dans un fou rire irrépressible. « Au moins, lui dis-je, vous n’avez pas perdu votre sens de l’humour, et je trouve ça plutôt réconfortant. Mieux vaut un duel à coups de vannes plutôt qu’une bataille à tout fracasser dans l’appartement. ». Peut-être même, subsistait-il une toute petite chance que cela puisse sauver leur couple. Il m’arrêta tout de suite en excluant cette éventualité. « Un autre détail m’encourage à couper net notre relation, ajouta-t-il. La dernière fois que nous avons tenté de remettre les choses à plat et de nous réconcilier, elle m’a avoué, quoi qu’il lui en coûte, qu’elle ne renoncerait pas à certaines choses et que son idole resterait Nabilla ! »
Nabilla ? L’irrascible starlette de réalité tristement célèbre, accusée d’avoir craché sur un guichetier SNCF, agressé une passante dans les rues de Miami et poignardé son concubin un soir de dispute conjugale ? Là effectivement, sans vouloir remuer le doute dans la plaie, j’ai concédé que les soupçons de mon ami paraissaient fondés. Et lui ai conseillé, avant que sa chère et tendre ne revienne chercher ses affaires, de bazarder son curieux ustensile de cuisine sur un site de ventes en ligne. « Précaution inutile, a-t-il rétorqué. J’ai trouvé une meilleure parade. De toute façon, j’en avais marre des brunes. J’ai déjà entamé une nouvelle relation avec une blonde platine d’enfer, rompue aux arts martiaux et au maniement du sabre de combat. Elle sera présente lorsque mon ex, qui compte désormais pour des prunes, reviendra déménager ses affaires ». Parade idéale ? À court terme, peut-être. Mais à long terme… Je n’ai pas osé lui dire que les éventuelles futures scènes de ménage avec cette nouvelle conquête risquaient de devenir encore plus délicates à gérer. Et qu’il aurait tout intérêt à numéroter ses abattis.
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