DES BOUMS ET DES BANGS…
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Dans la nuit du 18 au 19 juillet 2022, Dani s’en est allée sans prévenir. Quoi de plus normal pour un oiseau de nuit ? Elle est partie sur un coup de cœur. Les médecins appellent ça “les suites d’un malaise cardiaque”. Allez savoir si le plus dur est ce qui suit ou ce qui précède ? Dani ne se posait pas la question. Pas du genre à regarder en arrière ni à angoisser sur ce qui allait arriver après. Elle traquait le présent comme il venait, quitte à le brusquer un peu quand il faisait mine de lambiner. Au risque qu’un soir, il veuille la rattrapper. On a tous nos boomerangs…
Mannequin, chanteuse, comédienne, meneuse de revue, actrice, fleuriste, elle a fait ce qui lui a plu quand ça lui a plu. Elle a quitté Perpignan à 19 ans pour s’inscrire à l’École des Beaux Arts à Paris. La photo lui fit tout de suite les yeux doux, d’un côté et de l’autre de l’objectif. Être engagée par un grand périodique comme Jours de France pour y faire des photos et se retrouver très vite en couverture des grands magazines n’est déjà pas banal. Entamer dans le même temps une carrière de chanteuse et débuter au cinéma relève quasiment de l’utopie. Ce fut pourtant ces débuts tonitruants qu’elle vécut entre 1964 et 1966, entre ses 20 et 22 ans. Comme si ces journées de dingue ne lui suffisaient pas, elle les enchaînait avec des nuits blanches parisiennes sans fin : Café de Flore, Castel, Rhumerie, Drugstore Publicis…
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Son premier 45 tours, intitulé “Garçon Manqué”, sorti en 1966 chez Pathé-Marconi, annonçait déjà la couleur dans les programmes en noir et blanc : celle d’une jeune femme au regard décidé et à l’allure délicieusement rebelle. Les paroles elles-mêmes n’étaient pas si anodines. N’oublions pas que six mois plus tôt, les femmes françaises ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leurs maris. La loi sur la réforme des régimes matrimoniaux, rendant effective la capacité juridique de la femme mariée, ne fut adoptée par les députés français qu’en date du 13 juillet 1965. De toute façon, une magnifique brune qui fredonnait “Garçon Manqué” en pantalon et veste de jeans col remonté, cela ne pouvait que m’aller. De ma province, je n’ai malheureusement pas pu suivre ses folles années où elle a rencontré Jimmi Hendrix, Tom Jones, Serge Gainsbourg, et durant lesquelles elle a écumé les scènes de l’Alhambra, Bobino, l’Alcazar… Chanteuse, puis meneuse de revue chouchoutée par Jean-Marie Rivière, Dani fut alors sélectionnée pour représenter la France au concours de l’Eurovision de 1974. Un foisonnement de près de 200 titres et des artistes tels Nicolas Peyrac, Sabrina Lory et Nicole Croisille formaient pourtant une concurrence redoutable. Lors de ce concours, programmé le 6 avril, Dani devait interpréter la chanson “La vie à 25 ans”, initialement intitulée “Y’a pas d’mal à s’faire du bien”, dont les paroles ne mâchaient pas leurs mots… Mais il faut croire que le destin n’aime pas beaucoup l’irrévérence. Le 2 avril 1974, le décès du président Georges Pompidou remit tout en question. Le jour de ses obsèques fut fixé au 6 avril et l’ORTF décida de retirer la candidature française et d’annuler la diffusion du concours, incompatible avec une journée de deuil national.
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Une scène de perdue, dix de retrouvées. Entre 1964 et 2020, Dani tourna dans une trentaine de films, sous la direction de Roger Vadim, Jean-Marie Perier, Georges Lautner, Jean Larriaga, François Truffaut, Claude Chabrol, Romain Goupil, Olivier Marchal… À la télévision, elle fut dirigée, entre autres, par Édouard Molinaro, Jacques Doillon, Serge Moati, Josée Dayan… Dans le tumulte des années 1970, Dani a également ouvert un night club branché, “L’Aventure”, avenue Victor Hugo, dans le très chic seizième arrondissement de Paris. Les années 1980 parurent plus apaisées, l’artiste ayant quitté la capitale pour se retirer dans le Vaucluse. La publication du livre “Drogue, la galère”, dans lequel elle retraça ses années noires et raconta sa reconstruction fut un autre jalon dans son existence, tout comme son investissement, plus inattendu, en tant que fleuriste dès 1993. “Au Nom de la Rose”, “D-Rose”, “By Dani”, “Roses Costes, Dani Roses” ; les noms de ses boutiques évoquaient à la fois le temps et la jeunesse qui passent, aussi surement que dans la célèbre ode de Ronsard.
En 2005, j’avais eu la chance de rencontrer Dani lors de l’émission quotidienne “Le Set”, sur Pink TV. J’y alternais chroniques et billets d’humeur divers. Ce jour-là, une langue de vipère m’avait prévenue : « Oh la la, tu vas tourner avec Dani… Je la connais bien. Elle va arriver en retard et elle est ingérable en plateau. J’espère qu’elle ne va pas te flinguer ton intervention ». Je ne connaissais pas Dani, mais je commençais à bien connaître ce genre d’aspics, tapis à l’ombre des projecteurs, qui siffle du pipo avec un grand sourire en face et persiffle le fiel dans le dos. Dani est arrivée en avance, la politesse des vraies reines (on en voit tant de fausses), et cette émission commune fut un régal. On a beaucoup ri avant, pendant et après le plateau. Ma chronique traitait du sapin de Noël et je crevais de chaud sous mon maquillage et mon look d’épicéa roi des forêts. Dani m’a accompagnée de ses regards et de ses rires complices tout du long. Le feeling était passé instantanément et c’était tellement rafraichissant. J’aurais dû lui offrir un énorme bouquets de roses.
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Au chapitre des originalités de cette amie d’un soir et de cette amante de la nuit, je ne peux m’empêcher de songer à son dernier coup d’éclat musical, en compagnie d’Étienne Daho, qui avait produit et chanté en duo avec elle “Comme un Boomerang”, en 2001. Cette chanson avait été écrite pour elle par Serge Gainsbourg en 1975. Elle était destinée à représenter la France au concours de l’Eurovision de la même année. Malheureusement, de gros imbéciles de TF1, mollement avachis dans leurs larges fauteuils en cuir, ont refusé cette candidature, jugeant « certaines paroles trop crues, agressives, connotées sexuellement et non adaptées au concours ». La chanteuse et l’auteur, ne daignant, à juste titre, céder à la pression et modifier leur œuvre, celle-ci est tombée dans les oubliettes… pour renaître un quart de siècle plus tard avec le succès que l’on sait ! Une magnifique revanche, presque malgré elle. La trajectoire de cette artiste si singulière s’est brusquement interrompue après 77 ans de zigs et de zags imprévisibles, entre épines et pistils inopinés. « Je sens des boums et des bangs agiter mon cœur blessé »… disait le premier vers de “Comme un Boomerang”. Un nouvel album était en préparation pour une sortie 2022. Il avait pour titre : “Attention Départ” ! Dani l’intuitive l’avait peut-être trop bien choisi.
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Comme un boomerang
Je sens des boums et des bangs agiter mon cœur blessé
L’amour comme un boomerang me revient des jours passés
À pleurer les larmes dingues d’un corps que je t’avais donné
J’ai sur le bout de la langue ton prénom presque effacé
Tordu comme un boomerang mon esprit l’a rejeté
De ma mémoire, car la bringue et ton amour m’ont épuisé
Je sens des boums et des bangs agiter mon cœur blessé
L’amour comme un boomerang me revient des jours passés
À s’aimer comme des dingues, comme deux fous à lier
Sache que ce cœur exsangue pourrait un jour s’arrêter
Si, comme un boomerang tu ne reviens pas me chercher
Peu à peu je me déglingue, victime de ta cruauté
Je sens des boums et des bangs agiter mon cœur blessé
L’amour comme un boomerang me revient des jours passés
À t’aimer comme une dingue, prête pour toi à me damner
Toi qui fait partie du gang de mes séducteurs passés
Prends garde à ce boomerang il pourrait te faire payer
Toutes ces tortures de cinglés que tu m’as fait endurer
Je sens des boums et des bangs agiter mon cœur blessé
L’amour comme un boomerang me revient des jours passés
C’est une histoire de dingue, une histoire bête à pleurer
Ma raison vacille et tangue, elle est prête à chavirer
Sous les coups de boomerangs de flash-back enchaînés
Et si un jour je me flingue, c’est à toi que je le devrais
Je sens des boums et des bangs agiter mon cœur blessé
L’amour comme un boomerang me revient des jours passés
À pleurer les larmes dingues d’un corps que je t’avais donné…
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