14 SEPTEMBRE 2022 : CLAP DE FIN
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Avec plus de 80 films en un demi-siècle d’une carrière phénoménale, malheureusement trop peu connue du grand public, Irène Papas fait partie de ces femmes qui marquent une génération beaucoup plus profondément que les suivantes ne le pensent. Native d’un village de Corinthe, en Grèce, l’interprète ténébreuse a tout joué : la tragédie grecque, évidemment, genre dans lequel elle ne pouvait qu’exceller, mais aussi le western et le film noir américain, le péplum italien, l’aventure historique, le film d’auteur et le film de guerre, et tant d’autres variations dans un répertoire qui lui a conféré un statut très particulier sur la scène européenne. Elle a donné la réplique à Kirk Douglas, Anthony Quinn, Richard Burton, Gregory Peck, David Niven, James Cagney, Robert Taylor, Yves Montand, Jean-Louis Trintignant, Jon Voigt, Laurent Terzieff, Omar Sharif, James Mason, Michael Lonsdale, Jeff Goldblum, Dan Aykroyd, Rupert Everett, Nicolas Cage… pour ne citer que les plus connus.
Actrice de renom, mais également chanteuse de grand talent, elle a prêté sa voix à Mikis Theodorakis, ainsi qu’à Vangelis sur deux albums (Odes en 1979 et Rhapsodies en 1986), et même bien avant, en 1972, du temps des Aphrodite’s Child avec Demis Roussos. Surnommée “Bella Greca” ou “Irene Nostra” par le public italien qui l’appréciait beaucoup (elle a tourné avec de nombreux cinéastes de Cinecittà), elle avouait volontiers qu’après Athènes, Rome était sa seconde mère. Farouchement opposée à la junte militaire, elle dut se résoudre à vivre un temps en exil, de 1967 à 1974, durant la période sombre de la dictature des colonels. Brièvement mariée à un acteur et réalisateur grec (de 1947 à 1951) elle n’a pas eu d’enfants et est toujours restée très discrète, pour ne pas dire secrète, à propos de sa vie sentimentale. En 2004, toutefois, peu après la mort de Marlon Brando, elle avoua “un long et secret amour” entre eux deux. Elle précisa qu’ils s’étaient rencontrés pour la première fois à Rome en 1954, qu’ils s’étaient revus pour la dernière fois à Athènes en 1999… et qu’il demeurerait “la grande passion de sa vie”. Une grande passion pour une grande dame qui avait eu 93 ans le 3 septembre dernier.
Depuis une vingtaine d’années, Irène Papas était revenue vivre dans son village natal de Chiliomódi, mais la dernière décennie ne fut pas tendre avec celle qui nous laissa de merveilleux souvenirs, à jamais gravés sur la pellicule. La maladie d’Alzheimer a embrumé les siens et assombri un dernier horizon que Joachim Du Bellay eût pu lui souhaiter plus doux, comme à Ulysse. Mais les tragédies grecques, et leurs tragédiennes, n’y ont sans doute jamais eu droit.
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