NOIR, NOIR, NOIR.
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Black Friday… le Vendredi Noir ! « Encore une belle fumisterie, pour ne pas dire une vaste connerie, qui nous vient des Américains ! Tu parles d’une aubaine ! C’est un véritable fléau, une calamité sans nom, et tout le monde court s’y vautrer les yeux fermés ! » s’emporte mon amie Teresa, qui est Mexicaine. Étant donné les tensions de toujours entre les deux états, on pourrait aisément accuser Teresa d’un léger parti pris, mais certains partis pris constituent malgré tout de précieux raccourcis pour aller à l’essentiel. Bizarrement, pour accéder sans détour au Black Friday, il faut d’abord passer par la case Thanksgiving…
Aux USA, Thanksgiving est célébré le quatrième jeudi de novembre. Cette fête, qui existait déjà dans certaines sociétés paysannes d’Europe, est l’occasion de remercier Dieu pour les bienfaits et les bonheurs que l’année finissante a apportés. C’est l’équivalent de la grande fête de l’action de grâce, que nos amis canadiens célèbrent un mois plus tôt, mi-octobre. En Amérique du Nord, l’évènement, devenu laïque, s’est transformé en jour férié. Le repas traditionnel de Thanksgiving est composé d’une dinde farcie (souvent aux marrons), accompagnée de purée de pommes de terre, de patates douces et haricots verts, puis d’une tarte aux pommes ou à la citrouille avec crème fouettée.
Au lendemain de ce jeudi de bombance, est donné le coup d’envoi du shopping de Noël : le Black Friday ! Les remises exceptionnelles, annoncées à grand renfort de publicités, provoquent alors une ruée digne des périodes de soldes les plus folles. Les embouteillages monstres qui en résultent, ainsi que les terribles cohues, sont l’une des origines possibles de l’appellation Black Friday. Une autre explication implique la comptabilité des commerces qui, du temps où elle était réalisée à la main, indiquait en rouge les comptes déficitaires. C’était souvent le cas en fin d’année, lors des mois peu folichons d’octobre et de novembre… mais l’explosion des achats durant ce vendredi de folie les faisaient repasser en positif, ce qui permettait aux comptables de reporter les chiffres à l’encre noire. D’où le Black Friday.
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En France, le phénomène qui a démarré très timidement il y a une douzaine d’années prend désormais une ampleur démesurée. Les promotions débordent en amont et en aval de la journée fatidique, au point d’évoquer une Black Friday Week ! Ce n’est pas encore la frénésie américaine qui pousse les magasins à ouvrir dès 3 heures du matin, voire toute la nuit précédant et suivant le Black Friday, mais tout de même… Les hypermarchés sont entrés dans la danse depuis quatre ou cinq ans et les ventes sur internet ont elles aussi enregistré un boum retentissant. Jusqu’à la SNCF, qui propose durant une semaine des prix fracassés concernant toutes ses cartes de réduction (enfants, jeunes, séniors et week-end) : 24,50 euros au lieu de 49 euros pour l’année !
Nos voisins suisses, belges et luxembourgeois succombent à la même hérésie depuis 2016. On est loin des célébrations religieuses initiées par les Pères pèlerins et les premiers colons débarqués du May Flower dans la baie de Plymouth, au Massachusetts. Selon certains chercheurs, les premiers Thanksgiving, instaurés dans les années 1630, coïncident malencontreusement avec le massacre de tribus autochtones. Plusieurs historiens portent un regard très critique sur ces réjouissances sensées louer la providence du Nouveau Monde et l’harmonie entre les peuples. Avec le recul, cette période apparait clairement comme le point de départ de la destruction des groupes amérindiens. En un siècle à peine, les guerres indiennes (1778 à 1890) et les virus importés d’Europe provoquèrent l’anéantissement d’un continent et une hécatombe sans équivalent : d’environ 12 millions d’individus, la population des Indiens d’Amérique du Nord fut réduite à 250.000 survivants à peine. Howard Zinn, historien, politologue et grande figure du mouvement pacifiste aux USA, a écrit : « Les gouvernements américains ont signé plus de quatre cents traités avec les Amérindiens et les ont tous violés, sans exception ».
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Ainsi, sans vouloir le savoir, les Américains fêtent un Thanksgiving aux racines macabres, qui entretient un côté bien plus sombre encore que le Black Friday et ses visées purement mercantiles. L’action de grâce, définie en théorie comme une attitude de reconnaissance envers Dieu, est bien curieusement honorée. Elle continue surtout d’engraisser les marchands du temple mais, outre-Atlantique, cette déviation a été élevée au rang de religion. Le virus galope sur tous les continents et contamine, où qu’ils subsistent péniblement, les maigres vestiges des vastes prairies et des valeurs sacrées de leurs premiers habitants. Cette peste noire nous prépare des black fridays qui risquent de durer une éternité. Sans lune.