DU ROMAN À LA PHOTO
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Lorsque la petite Luigina Lollobrigida naît le 4 juillet 1927, dans la modeste ville italienne de Subiaco, au cœur des Abruzzes, personne ne se doute du destin qui sera le sien. L’époque est austère et la vie est rude, tout comme l’éducation imposée par son père, directeur d’une fabrique de meubles locale, avant que la seconde guerre mondiale ne passe par là. Ruinée, la famille émigre alors à Rome et la jolie Gina fait déjà tourner la tête des hommes sur son passage. Elle garde toutefois la sienne sur ses épaules, persuadée que son âme d’artiste la mènera vers d’autres horizons. Elle a 18 ans lorsque la guerre prend fin et que tout redevient enfin possible…
Inscrite à l’Académie des Beaux Arts, la jeune femme entreprend des études de dessin, peinture et sculpture. En cachette de son père, elle va voir tous les films américains de l’époque, ainsi que les comédies italiennes. Ses trois sœurs sont ouvreuses de cinéma et cela facilite sans doute les choses. Dès 1945, elle s’investit dans le théâtre, joue un rôle dans une pièce intitulée Santarenilla. Elle prend des cours de chant, participe à des concours de beauté, pose en tant que modèle… et, sous le pseudonyme Diana Loris, accepte un rôle principal dans un roman-photo. Ce dernier va tout changer ! Grâce à lui, elle est remarquée par le milieu cinématographique. Les réalisateurs ne sont évidemment pas insensibles à sa plastique. Son amie Silvana Mangano l’encourage à multiplier les castings, allant parfois jusqu’à l’accompagner sur les plateaux. De 1946 à 1951, les figurations et les rôles secondaires se succèdent dans un registre certes réducteur, mais qui lui permet de faire ses classes sans douter de ses réelles capacités.
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1952 est l’année charnière, celle où tout bascule, celle où le tremplin qui ne se présente qu’une fois dans une vie d’artiste, survient enfin au début du chemin. Le réalisateur français Christian-Jaque la choisit pour incarner le rôle féminin principal aux côtés de Gérard Philippe dans “Fanfan la Tulipe”. Le film est un succès. La même année, sous la houlette de René Clair, elle retrouve Gérard Philippe dans le film “Les Belles de Nuit”, où elle partage l’affiche avec autre actrice glamour : Martine Carol. Rebelote ; le succès est à nouveau au rendez-vous. La France consacre la belle italienne et la propulse dans une autre dimension. Les réalisateurs italiens reviennent à la charge, mais lui offrent cette fois des rôles principaux : Mario Monicelli, avec “Les Infidèles”, Mario Soldati, avec “La Marchande d’Amour”, et surtout Luigi Comencini, avec “Pain, Amour et Fantaisie”, où elle donne la réplique à Vittorio De Sica. Cette même année 1953 prend des allures de jackpot lorsque le réalisateur américain John Huston fait appel à elle dans “Plus Fort que le Diable”, avec Humphrey Bogart ! Le photographe de plateau s’appelle Robert Capa. La nuit, des répliques sont réécrites sur mesure pour elle par un certain Truman Capote. Le producteur Howard Hughes s’entiche de Gina et se montre on ne peut plus passionné. De quoi avoir le tournis, d’autant que l’année suivante, elle enchaîne avec “La Belle Romaine”, de Luigi Zampa, dont le scénario est co-signé par Alberto Moravia, qui affirme : « Gina Lollobrigida est l’archétype de la beauté féminine italienne ».
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Désormais, elle fait partie des stars internationales. Elle traite d’égal à égal avec les plus grands noms du cinéma : Vittorio Gassman dans “La Belle des Belles” (1955), Burt Lancaster et Tony Curtis dans “Trapèze” (1956), Anthony Quinn dans “Notre Dame de Paris” (1956). Avec ce long métrage signé Jean Delannoy, elle franchit encore un palier. Le rôle d’Esmeralda, qui lui va comme un gant, accroît encore sa notoriété auprès du grand public et sa côte auprès des producteurs.
Son visage et sa silhouette font la une de tous les magazines. Orson Wells l’élève au rang de : « La femme la plus fabuleuse du monde. La reine ». Il ne croit pas si bien dire. En 1959, elle crève à nouveau l’écran au bras de Yul Brynner dans “Salomon et la Reine de Saba”. Malicieuse, elle confiera plus tard : « Quand le metteur en scène disait : “Coupez !”, on continuait à s’embrasser ». Jules Dassin la fait tourner ensuite avec Marcello Mastroialni, Pierre Brassuer et Yves Montand dans “La Loi” (1959), John Sturges l’associe à Frank Sinatra et Steve McQueen dans “La Proie des Vautours” (1959), Robert Mulligan lui adjoint Rock Hudson dans “Le Rendez-Vous de Septembre” (1961)… Sean Connery, Jean-Paul Belmondo, Philippe Noiret, Ugo Tognazzi, Jean-Louis Trintignant, Bob Hope, James Mason, Lee Van Cleef, David Niven, Gérard Depardieu… complètent, entre autres, la liste impressionnante de ses partenaires de scène.
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Gina Lollobrigida n’a pas toujours été brune. Elle a aussi tenté le blond, qui ne lui allait pas si mal, mais que ses fans lui ont parfois reproché, notamment côté transalpin. Pas toujours facile d’endosser et d’assumer le statut d’égérie nationale. Un journaliste italien avait écrit : « Gina est la meilleure chose qui soit arrivée à l’Italie depuis l’invention des spaghettis » ! Pas facile non plus de composer avec une image de sex symbol, surtout lorsqu’un autre sex symbol, du nom de Marilyn Monroe, lui adresse un joli clin d’œil en se présentant comme la Gina Lollobrigida américaine. Les deux femmes, qui s’appréciaient beaucoup, restèrent amies jusqu’à la mort tragique de Marilyn. Pas facile, enfin, de repousser les avances insistantes d’acteurs célèbres et de puissants producteurs. Lors de sa période hollywoodienne, à peine son contrat signé, Gina Lollobrigida fut enlevée par l’omnipotent Howard Hughes. Séquestrée durant plusieurs mois dans l’Hôtel Town House, sur Wilshire Boulevard, à Los Angeles, elle ne pouvait quitter sa chambre qu’en sa compagnie, au beau milieu de la nuit, pour rejoindre le restaurant de l’hôtel et la piste de danse privatisés. Le reste du temps, un gorille montait la garde devant sa porte, interdisant toute visite et toute sortie. Gina finit tout de même par s’enfuir mais Howard Hughes ne l’oublia qu’après une douzaine d’années de relances réitérées. Est-ce la rançon que les femmes doivent payer aux hommes indélicats pour avoir fait étalage de leur beauté, sous la direction de ces mêmes hommes indélicats et excessifs ? Indélicats, excessifs, et exagérément dangereux. Son amie Marilyn Monroe n’aura pas eu la chance d’éviter ce piège. Ce contexte pesant, des expériences décevantes, une certaine lassitude, un cinéma différent et l’impression d’avoir fait le tour de la question, tout cela a probablement incité Gina Lollobrigida à prendre ses distances avec le septième art dans les années 1970.
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Ironie du sort, l’actrice adulée et la femme sublime n’a jamais été heureuse dans sa vie sentimentale. Mariée dès 1949 à Milko Škofič, un médecin yougoslave devenu son impresario (et un piètre conseiller, qui, entre autres, lui fit manquer “La Dolce Vita”), elle divorce vingt ans plus tard, avec l’impression d’avoir gâché de belles années. Une de ses citations célèbres était pourtant : « L’amour, le meilleur des cosmétiques ». Cet amour tant espéré n’arrivera jamais. Pire, il évoluera en sentiment toxique.
En octobre 2006, à 79 ans, la comédienne annonce ses noces avec l’entrepreneur immobilier espagnol Javier Rigau Rafols, de 34 ans son cadet. Tentative d’escroquerie, extorsion de signature, organisation de faux mariage ; l’histoire d’amour tourne court et se transforme en mauvais film de série b, sur fond de bataille juridique sordide. Quelques années plus tard, c’est un bellâtre italien de 32 ans, Andrea Piazzolla, qui tente de séduire la célèbre octogénaire. D’abord embauché en tant que jardinier, il devient son chauffeur, puis son secrétaire, et enfin directeur de trois sociétés gérant la fortune de l’actrice. L’aigrefin essaye de faire le vide autour d’elle, évinçant avocat et manager, écartant famille et amis. Ces derniers réagissent rapidement et alertent la justice en invoquant l’abus de faiblesse. Gina Lollobrigida avait un jour déclaré : « Le Bon Dieu m’a donné le talent, mais basta, l’amour il me l’a refusé ! ». En 2021, lors d’une de ses dernières interviews, elle ajouta : « Laissez-moi vieillir et mourir en paix », suite à cette énième déception amoureuse et ces péripéties juridiques qui avaient abouti à une expertise psychiatrique et une mise sous tutelle.
Finalement, la dernière aventure heureuse de l’artiste aura été son investissement exclusif dans la sculpture et la photographie à partir des années 1980. Elle reçut le prix Nadar pour son premier album sur l’Italie. Elle explora un art par lequel tout avait commencé pour elle, mais qui lui fit faire cet étonnant détour par le cinéma. En 2013, la mise aux enchères de bijoux lui ayant appartenu battit le record établi par Elizabeth Taylor pour une vente similaire. Preuve supplémentaire de la trace laissée dans le cœur et la mémoire des cinéphiles par celle qui impressionna si souvent la pellicule. Après 95 années d’une existence unique, ce 16 janvier 2023, à Rome, Gina Lollobrigida a définitivement quitté la scène. Son souvenir n’est pas près de suivre celle qui affirmait : « Nous sommes tous nés pour mourir. La différence est l’intensité avec laquelle nous choisissons de vivre ».
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Excellentissime.
Mais où va-t-elle chercher tout ça ?