LE COMÉDIEN DE LA CHANSON
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Son père s’appelait Modeste Miramon, sa mère Romélie Lamazou. Humbles agriculteurs de la vallée d’Aspe, dans le département des Pyrénées Atlantiques, ils quittent leur terre natale lors de l’exode rural de l’entre deux guerres pour s’installer dans la banlieue ouvrière de Bordeaux. Lui devient cheminot, elle aide-soignante. Leur fils naît dans la capitale girondine le 1er avril 1929. Ce n’est pas un poisson, puisque l’astrologie le range sous la bannière du bélier, signe du zodiaque associé au renouveau, à l’élément feu, à la planète Mars, et de façon générale, à des notions d’énergie et de mouvement. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le dénommé Marcel Jean-Pierre Balthazar Miramon, qui a la bougeotte chevillée au corps, se passionne très tôt pour le sport. Pourquoi ne pas devenir professeur d’éducation physique ?
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C’est la question que se pose tout naturellement le jeune Marcel après avoir obtenu son baccalauréat. La réponse serait simple si un autre élément ne venait compliquer une équation où la comédie et la chanson tiennent une place aussi importante que le sport. Le théâtre l’emporte finalement, au grand dam de ses parents, qui le rêvaient instituteur ou fonctionnaire. Il s’inscrit au conservatoire d’art dramatique de Bordeaux, enchaîne les petits rôles sur les scènes locales, pousse la ritournelle dans les salles de la région, mais se sent vite à l’étroit dans le giron aquitain. À 21 ans, sa décision est prise : il monte à Paris. Il raccourcit son patronyme, « pour faire plus chic », et devient Marcel Amont. Sans le sou, il écume les cabarets et les petites salles de spectacle parisiennes : La Villa d’Este, La Fontaine des Quatre Saisons, le Cabaret Patachou… Il y fait des premières rencontres déterminantes : Jacques Brel, Charles Aznavour, Georges Brassens, Boris Vian, Raymond Devos, Jacqueline Maillant, Gilbert Bécaud… Jean Nohain, animateur et parolier, mais aussi un des pionniers de la télévision française, le repère et l’engage en première partie de Philippe Clay, puis le programme dans 36 Chandelles, célèbre émission de variétés française. Les portes s’ouvrent. La chance semble lui sourire, et patatras ! En 1954, il tombe gravement malade et doit se retirer un an en sanatorium. Son nom disparait des affiches. Un autre débutant prometteur le remplace au pied levé : Fernand Raynaud.
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Requinqué, il revient à la charge, plus bondissant que jamais. En 1956, son premier disque, Escamillo, est un succès. Il passe à l’Alhambra, puis est engagé en lever de rideau d’Edith Piaf à l’Olympia. Bruno Coquatrix, au départ dubitatif, change vite d’avis lorsqu’il voit l’effet produit par le jeune chanteur explosif. Dans la salle, Charlie Chaplin, Marlène Dietrich, Maurice Chevalier, Yves Montand sont épatés. Il enchaîne avec Bobino. Partout, on le réclame, à tel point que, certains jours, il lui arrive de se produire dans trois salles différentes. Sa notoriété explose et il est sacré révélation de l’année. Avec Juliette Gréco et Serge Gainsbourg, il enregistre son premier disque en public, qui obtient le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. L’année suivante, en 1957, il fait ses débuts au cinéma aux côtés de Brigitte Bardot dans “La mariée était trop belle”. En 1958, son premier grand tube, “Tout doux, tout doucement”, gagne définitivement le cœur des Français. Il enfonce le clou en 1959 avec “Bleu Blanc Blond“. Ces deux titres, tendres et délicats, sont presque un paradoxe pour un boute-en-train débridé qui déborde d’énergie. Ils enrichissent un répertoire qui ne cesse de séduire le grand public.
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Marcel Amont n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Les sixties confortent son ascension avec d’autres titres éclatants : “Dans le cœur de ma blonde” en 1961, “Un Mexicain” en 1962, considéré comme son plus grand tube, “Le Jazz et la Java”, qui couronne sa collaboration avec Claude Nougaro. Il fait feu de tout bois, se permettant même le luxe d’enregistrer un 45 tours en langue béarnaise, pour faire plaisir à ses parents. « Je suis un chanteur francophone, mais le béarnais est la langue qui parle à mon cœur. », dit-il. Afin de gagner du temps lors de ses nombreuses tournées en France et dans les pays francophones, il passe son brevet de pilote d’avion. En 1965, il fait son grand retour à l’Olympia, avec cette fois son nom en grand sur la façade de la salle mythique. Bien avant Claude François, il s’entoure de danseuses, une véritable innovation en France. Quelques années plus tard, il ajoutera à son spectacle des cascadeurs et des écrans géants. Le 1er octobre 1967, on fait appel à lui pour animer la première émission en couleurs de l’histoire de la télévision française, mise en images par le réalisateur Jean-Christophe Averty, et baptisée “Amont Tour”. En pleine vague yéyé, Marcel Amont demeure un des chanteurs populaires français les plus demandés. Ses spectacles, mélanges de récital et de sketches, sont des one man shows originaux qui se jouent à guichets fermés. On peut désormais l’appeler “Monsieur”, comme il le fredonne avec humour dans sa chanson éponyme, en 1969.
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Début 1971, il enregistre un autre chef d’œuvre, intitulé “L’amour ça fait passer le temps”. Les disquaires peinent à se réapprovisionner. Vendu à plus de 500 000 exemplaires en un temps record, il est classé disque d’or. Le tempo particulier de la chanson inspire à son interprète une chorégraphie géniale, empreinte d’un romantisme féérique. En compagnie de ballerines en robes à cerceaux d’un autre siècle, que l’on jurerait tout droit sorties de boîtes à musique anciennes, Marcel Amont mime un automate aussi troublant qu’attendrissant. Un demi-siècle plus tard, cette prestation reste dans toutes les mémoires. Outre son répertoire et ses prestations scéniques, son charisme et sa bonne humeur l’installent sur les plateaux de nombreuses émissions de variétés, notamment celles de Maritie et Gilbert Carpentier. Il est au summum de sa carrière. Il refuse des sollicitations étrangères, notamment celles de producteurs américains et de la BBC, pour se lancer en 1975 dans la création d’une comédie musicale, intitulée “Pourquoi tu chanterais pas”, au théâtre des Bouffes-Parisiens, à Paris. C’est un échec cuisant. Le coup est rude pour le chanteur qui s’était énormément investi dans ce projet et se retrouve brutalement au creux de la vague. Toutefois, grâce à un ami de toujours, un copain d’abord, ce n’est pas le radeau de la méduse. Georges Brassens vient à la rescousse et lui offre une chanson qu’il destinait à son propre répertoire : “Le Chapeau de Mireille”. Bingo ! Le succès est à nouveau au rendez vous et Marcel Amont repart à l’abordage de son public. Bien plus tard, il confiera : « J’étais vraiment mal et Georges m’a offert cette magnifique chanson, qu’il avait pourtant écrite pour lui, et qui est devenue un classique. C’est un présent d’une extrême générosité, dont seuls les véritables amis peuvent faire preuve. Et pour vous dire la noblesse et la grandeur de cet homme, il ne l’a jamais reprise lui même dans l’un de ses concerts, chose qu’il aurait très bien pu faire. Il me l’a confiée entièrement. C’est un don total. ».
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Les années 1980 appellent d’autres courants musicaux. Marcel Amont tente un rapprochement avec de jeunes auteurs qu’il apprécie : Alain Souchon, Maxime Le Forestier, Julien Clerc… mais son auditoire n’adhère plus. Celui qui s’est toujours considéré comme un “divertisseur” ne distrait plus et fait cet aveu : « Je me suis retrouvé démodé dans mon propre pays. Mais j’ai continué à chanter dans les arrière-salles de bistrots, les villages. Et à l’étranger où on me demandait toujours. ». Il entame alors des tournées dans toute l’Europe, en Union Soviétique, au Japon, en Amérique. Capable d’interpréter ses chansons en sept langues, il ravit d’autres publics. Cela lui permet d’entretenir le lien vital qu’il a toujours eu avec la scène. Petit à petit, la France l’oublie durant deux décennies. La traversée du désert prend fin en 2006, avec un disque de jazz intitulé “Décalage Horaire”, émaillé de duos étonnants avec Didier Lockwood, Biréli Lagrène, Gérard Darmon, Agnès Jaoui… preuve supplémentaire d’un éclectisme artistique qui le fait également apparaître sur plusieurs albums pour enfants. Les retrouvailles avec l’Olympia ont lieu en 2007, cinquante ans après son premier passage. De 2008 à 2010, il est l’une des vedettes du spectacle “Âge tendre, la tournée des idoles”. Il y retrouve sa grande amie Annie Cordy, autre étoile du music-hall français, et a pour camarades de loge Gérard Lenorman et Hugues Aufray. En 2018, à l’Alhambra de Paris, il lance un nouveau spectacle, “Marcel raconte et chante Amont”, mélange autobiographique de stand-up et tour de chant. Il y fête ses 90 ans le 2 avril 2019, lors d’un concert mémorable en compagnie d’une vingtaine d’invités, dont Serge Lama, Christophe, Gérard Lenorman, Nicoletta, Maxime Le Forestier, Michel Jonasz, George Chelon, Michèle Torr, Gérard Darmon, François Morel, Laurent Baffie… La boucle est presque bouclée.
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Entre 2000 et 2021, Marcel Amont publie une dizaine de livres, dont deux romans. Cet éternel hyperactif profite de cette frénésie d’écriture pour coucher sur le papier sa passion de la chanson et ses racines de Gascon. C’est une leçon d’histoire et de musique tissée sur l’écheveau d’une vie sans artifices. Deux grands-pères morts d’un coup de froid à la quarantaine à peine, veuves et enfants livrés à eux-mêmes et aux durs travaux de la ferme, parents contraints de tout abandonner pour tenter leur chance à la ville… les fées du Béarn ne semblaient pas se presser autour du berceau du petit Marcel. Une adolescence sous l’occupation allemande, la peur et la faim au ventre, le froid combattu à grands coups de jazz, d’Édith Piaf, Maurice Chevalier, Tino Rossi, et Charles Trenet, la précarité des débuts à Paris, l’apogée et le périgée d’un parcours bluffant, l’auteur livre les clefs d’une existence exaltante. Et d’une carrière artistique longue de 75 ans. Lui, “l’émigré de l’intérieur”, choyé par un père communiste féru de comique troupier et une mère catholique préférant les ballades sentimentales, a su s’imprégner de toutes les énergies positives l’entourant, les catalyser pour les redistribuer ensuite sans compter. « Si je ne m’agite pas, je meurs. », disait-il. Marcel Amont s’est éteint paisiblement à 93 ans, entouré des siens, à son domicile de Saint Cloud, le 8 mars 2023.
Son premier livre “Une chanson, qu’y a-t-il à l’intérieur d’une chanson ?” évoque parfaitement la légèreté et la complexité de cet art que certains prétendent mineur. À mi-chemin entre le conte et la musique, je le crois plutôt majeur. Il nous touche profondément à certains moments de notre vie, se mêle à nos sentiments, les démêle aussi parfois. Écrite par son copain Aznavour, celui-là même qui lui avait déjà donné “Le Mexicain”, la chanson “Moi, le clown” est une référence en la matière. Marcel Amont la transcende de son talent très personnel, de son élégance mélancomique. Il passe du “un tel” effacé, presque invisible, quidam anonyme, à la vedette extravagante, applaudie sous les feux de la rampe. C’est une métamorphose à plusieurs niveaux (un domaine qui m’est cher), qui convoque l’enfance et la maturité, la nostalgie et la gaité, la couleur et la grisaille, la banalité et l’originalité. Une table de maquillage et l’apparat d’un costume suffisent à tout changer, au cirque comme dans la société. L’un et l’autre sont-ils si différents ? « Chauffe Marcel ! » aurait certainement crié Jacques Brel en voyant son copain jongler ainsi avec les apparences et les existences. Le regard tendre et pétillant, le sourire débordant d’une bonté qui ne peut être feinte, il incarne l’humain avec ses force et ses faiblesses, souvent condamné à exagérer pour exister. Celui dont on rit est aussi celui qui fait rêver. Cendrillon du sentiment, il préserve l’espoir du lendemain. Au delà de la performance scénique, Marcel Amont livre ici beaucoup de lui, des valeurs et de l’héritage transmis par ses parents, entre humour et romantisme.
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Boréale nous enchante encore d’une aurore nostalgique qu’elle a su rendre passionnante. Cela valait la peine de nous narrer 70 ans d’activité et de talent. Une carrière aussi longue suscite l’admiration. Ce fut une vie consacrée à donner du beau et de la joie. Merci à Brigitte de nous l’avoir contée avec tout son talent.
Une douceur dans son visage.
Merci M. Marcel Amont