TENNIS WOMEN

PLEINES LIGNES

Au départ, mon voisin de palier caressait l’espoir d’être ramasseur de balles dans les tournois féminins de tennis. Lorsque je lui ai fait remarquer la jeunesse et la sveltesse des préposés à cette tâche, il a accusé le coup, du haut de sa quarantaine bien tassée et de ses abdos bien enveloppés. Il n’a pas lâché l’affaire pour autant, mû par un soudain regain d’intérêt pour ce sport très médiatisé. Le lendemain, il avait reporté son attention sur une autre fonction, jetant son dévolu sur le poste de juge de ligne. Trois critères essentiels avaient, semble-t-il, motivé son choix : la situation avantageuse de ces observateurs privilégiés, juste derrière les joueuses, leur position de prédilection, légèrement courbés, les mains sur les genoux, afin de scruter au mieux leurs cibles attitrées, et enfin les petites chaises qui leur étaient réservées, ainsi que les caissons de protection au sol où, selon lui, on pouvait planquer quelques canettes de bière bien fraîches. Je n’ai pas voulu le détromper, de peur qu’il ne se renfrogne et m’accuse de toujours vouloir le critiquer, en dénigrant systématiquement ses bonnes idées ou ses intentions du moment.

Toutefois, un détail contrariait quelque peu son ego et ses aspirations vis à vis du grand public : apparemment, il n’existait aucun juge de ligne célèbre ! « Ben voyons ! Tu ne voudrais pas le beurre et l’argent du beurre, par hasard ? Pour commencer, un juge de ligne doit davantage se préoccuper des lignes du terrain que de celles des joueuses. Et ensuite, il ne manquerait plus que, bien calé dans son petit siège, il vole la vedette à celles qui font tout le boulot et se démènent comme des diablesses sur le court… » osais-je commenter devant tant de vanité et d’absurdité. Sa réponse fut immédiate. Elle claqua comme un smash sur le carré de service : « Bien sûr ! Madame la plus maline que tout le monde va encore nous donner des leçons de morale ! Madame n’aurait jamais ce genre de pensées. Madame a de plus nobles aspirations. Madame est bien au dessus de tout cela… ». Que n’avait-il pas dit là. Il venait de monter au filet de façon fort imprudente. Il pensait avoir asséner une série de coups droits meurtriers alors qu’il m’offrait sur un plateau la possibilité de le crucifier d’un imparable passing-shot de revers long de ligne. Intérieurement, je jubilais. Je décochais ma riposte fatale avec un plaisir non dissimulé : « Effectivement, Monsieur le voyeur au ras du gazon, si j’avais le choix, je serais bien au dessus de tout cela. Moi, je serais Marijana Veljovic ! ». Et pan dans sa tête de raquette ! Jeu, set et match…

Marijana Veljovic

À son air et décontenancé, je compris tout de suite que mon interlocuteur était aux fraises. Il tenta une riposte maladroite en pensant que Marijana Veljovic était le nom d’une joueuse. Je le repris de volée, lui révélant que Marijana Veljovic était la juge de chaise (l’arbitre principale en tennis) dont tout le monde parle en ce moment. Titulaire, depuis 2015, du badge d’or (le plus haut degré d’arbitre, attribué par la Fédération Internationale de Tennis), elle officie dans les plus grands tournois avec une compétence et une autorité irréfutables. Elle n’a pas hésité à recadrer Roger Federer et Rafael Nadal lorsqu’il a fallu le faire, car elle a arbitré de nombreux matches masculins, y compris dans les épreuves du grand chelem. Elle a également dirigé plusieurs finales féminines, notamment à l’Open d’Australie, à Wimbledon, et en Fed Cup. Réputée avisée et inflexible, la jeune quadragénaire d’origine serbe est devenue une figure connue et reconnue sur le circuit international. Ses fans soulignent une certaine ressemblance, pour ne pas dire une ressemblance certaine, avec l’actrice américaine Jennifer Lopez, ce qui lui a valu le surnom de “J-Lo des courts”. Comme la Grecque Eva Asderàki quelques années avant elle, et la Française Aurélie Tourte, qui vient d’arbitrer la demi-finale hommes de Roland Garros 2023, entre Alcaraz et Djokovic, ces femmes de caractère ne sont qu’une petite dizaine à officier au plus haut niveau (c’est le cas de le dire) dans l’arbitrage tennistique. Toute sa vie, Jacques Dutronc rêva d’être une hôtesse de l’air, soi-disant pour avoir les fesses en l’air. Ces femmes arbitres de chaise, qui dominent les hommes, bien plus que de la tête et des épaules, ré-équilibrent les choses tout en gardant les idées claires. À la différence du chanteur, elles, ont réalisé leur rêve.

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