LA – MEN – TA – BLE !
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L’année dernière, j’avais déjà éprouvé un sérieux doute, pour ne pas dire une réelle déception. J’avais mis ça sur le dos d’un contexte post-covid peu stimulant et d’un manque de bol dans l’itinéraire choisi. Cette année, j’ai voulu en avoir le cœur net et j’ai décidé d’arpenter les rues de Paris à l’occasion de la fête de la musique 2023. Le constat a été sans appel. Pire que dans mes projections les plus pessimistes !
Je m’étais préparée consciencieusement. J’avais passé un t-shirt à l’effigie des Beatles, un jeans et des baskets noirs. Au fond de mon sac à dos, j’avais disposé deux mini packs de glace sur lesquels reposaient une petite bouteille d’ice tea et une eau minérale. Dès 19 heures, je me lançai dans l’exploration du onzième arrondissement. L’avenue Parmentier et le boulevard Voltaire étaient désespérément apathiques. Aucune effervescence. Aucun signe avant-coureur d’un quelconque événement. Pas le moindre podium ni préparatif musical, que ce soit sur ces deux grands axes ou dans les petites rues adjacentes. En revanche, quelques tables de mixage et haut-parleurs fleurissaient devant des bars ou des restaurants. Mauvais présage. Arrivée place de la Nation, j’espérais rencontrer enfin quelques musiciens accordant leurs instruments. Nouvelle déconvenue. Le kiosque à musique, où jadis se succédaient de nombreux artistes dans l’après-midi et la soirée du 21 juin, était lui aussi squatté par une table de mixage et de grosses enceintes qui crachaient un rap difficilement identifiable. Je quittai alors le onzième pour sillonner les rues du douzième arrondissement, dans le secteur Picpus, Reuilly-Diderot, Montgallet, Daumesnil, Challigny… Concertistes néant. Je repiquai dans le onzième, vers Saint-Antoine et Faidherbe, où je dénichai enfin, après 4 km et 1h30 de recherches infructueuses, une première estrade à visage humain. Un groupe de jazz interprétait des morceaux inconnus du grand public, mais c’était déjà ça. Au moins s’agissait-il de vrais musiciens accomplissant une vraie performance musicale. Malheureusement, une sono poussive et un charisme sommaire ne purent me retenir très longtemps. Je décidai de rallier le centre de la capitale. Cap sur le 1er et 2ème arrondissement de Paris. En 2015, j’y avais fait quelques jolies découvertes. Tel un pêcheur à la ligne certain de retrouver les bons coins, je m’élançai dans cette nouvelle quête, laissant dans mon sillage pléthore de DJ à casquettes sur les sourcils et écouteurs sur les oreilles.
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En chemin, je remarquai de plus en plus d’individus passablement éméchés. Il n’était pourtant que 21 heures. Certains semblaient s’être fait greffer des cannettes de bière dans la paume de leurs mains. D’autres sortaient de supermarchés ou de petites épiceries avec des bouteilles d’alcool fort qu’ils mélangeaient à du jus d’orange, confectionnant sur le capot des voitures stationnées, des sortes de cocktails Molotov à usage interne. Rue de Sévigné, presque en face de l’église Saint-Paul, je savais dénicher une fanfare regroupant de nombreux cuivres et quelques percussions. Cette formation, ou plutôt ces formations, s’y retrouvent traditionnellement tous les 21 juin. Bingo ! Ils étaient bien là, devant une foule enthousiaste et ravie. Comme toujours, ils faisaient un tabac. Il faut dire qu’ils entonnaient “Freed from Desire”, la chanson de Gala qui était devenue l’hymne des footballeurs français durant la coupe du monde 2023, au Qatar. Je pensais les écouter une trentaine de minutes mais, catastrophe, ce morceau terminé, ils décidèrent de prendre leur pause ! Une spectatrice arrivée en même temps que moi les fustigea : « C’est dingue ! Les musiciens se plaignent qu’ils doivent remballer à minuit et ils prennent des pauses à tout bout de champ dans la soirée ! ». Plus indulgent, je décidai de me rendre place du Marché Sainte-Catherine, à deux pas de là. Chaque année, un podium y accueille des groupes pop/rock de qualité. N’ayant jamais été déçue, je m’y rendais alerte et enjouée à l’idée d’y écouter, comme par le passé, du Pink Floyd, du Rolling Stones ou du Dire Straits. Hélas, le passé, c’est le passé. En plein milieu de la place, trônait hier… une magnifique platine entourée de grosses enceintes ! Sur mon t-shirt, les Beatles, traversant le célèbre passage clouté d’Abbey Road, ont aussitôt fait demi-tour ! Je leur emboitai le pas, faisant moi aussi volte face, en pestant contre cette musique techno envahissante et impersonnelle. Je me repliai vers le Sentier, espérant me consoler avec une découverte providentielle. Las ! Ce parcours était semé des mêmes embûches techno boum boum, mais puissance dix. La rue des Archives, Rambuteau, les environs de Beaubourg et toutes les ruelles du Marais étaient saturées, engorgées par une foule compacte, attirée par les basses et les percussions lancinantes comme les papillons de nuit sont attirés par la lumière. Impossible d’échapper à cette nasse mouvante. Il me fallut piétiner dans ce flot humain en évitant les cigarettes incandescentes et les godillots de pingouins à l’équilibre précaire. Les cris, les rires gras, les bras levés devant chaque DJ, les moulinets du poignet, les esquisses de danse ridicules, les sifflets, les vannes nulles et les réflexions débiles ; il fallut tout supporter durant une bonne vingtaine de minutes. Me revint soudain en mémoire une citation de George Sand : « Avez-vous remarqué comme on est bête quand on est beaucoup ? ». Profitant d’une relative accalmie, je bifurquai illico presto vers la rue de Rivoli, en direction de la place du Châtelet. Rue du Temple, je me retournai une dernière fois. Au loin, des lasers déchiraient la nuit et les fumigènes au dessus d’une masse informe, aspirée par cette musique électronique sans âme. On aurait dit une rave party urbaine d’un autre monde.
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Que pouvais-je tenter pour sauver la soirée ? Mon plan A n’avait pas marché. Mon plan B avait échoué. Mon plan C était aléatoire, mais c’était le seul qui me restait. Rue de Rivoli, je longeai l’Hôtel de Ville. Le nombre de véhicules de police stationnés là était impressionnant. Les relents de cannabis aussi. Étrange paradoxe que de rouler et d’allumer des joints à quelques mètres des représentants de la maréchaussée… à moins que cela ne relève de la pure provocation ? Mon objectif, dorénavant, était de traverser la Seine afin de rejoindre le quartier latin. La place du Châtelet, comme celle de l’Hôtel de Ville, ne présentant pas le moindre intérêt auditif, je m’engouffrai sur le pont au Change, puis le pont Saint-Michel, pour atteindre la place du même nom. Là, un orchestre de hard rock qu’on ne pouvait apercevoir tant il y avait de monde tentait une reprise qui me disait vaguement quelque chose. Je mis deux bonnes minutes avant de comprendre qu’il s’agissait du tube de Bob Dylan, “Knocking on Heaven’s Door”. Dépitée, je poursuivis et tombai sur un groupe de rock cinquantenaire retranché dans un recoin sombre et mal sonorisé. La basse et la guitare électrique étaient imperceptibles, malgré tout le mal que semblaient se donner leurs propriétaires. Next, once again ! Je m’orientai vers le fief historique des jazzmen et des caveaux illustres. Rue de la Huchette, rue de la Harpe, bien mal nommée en la circonstance, encore et toujours des platines et des enceintes. Boris Vian et Miles Davis devaient se retourner dans leurs tombes. Avec cette fête de la musique parisienne, ce furent probablement des cimetières entiers de musiciens qui firent la culbute ce soir-là. Pour un peu, le seul musicien présent sur les lieux, un guitariste acoustique fredonnant “Aux Champs Élysées”, de Joe Dassin, eut endossé des habits de sauveur. Non loin de la place de l’Odéon, une petite formation rock jouait du Gun N’ Roses devant un auditoire clairsemé. Le boulevard Saint-Germain n’était pas différent des autres jours ; bourgeois et touristes en terrasse, mais aucun artiste égayant le pavé. La brasserie Lipp, le Café de Flore et les Deux Magots somnolaient dans le soir tiède. Aucun air de musique alentour. Ultime espoir : longer l’église Saint-Germain des Près pour gagner la rue de Buci et la rue Saint-André des Arts. Dans les années 1990 et 2000, ce quartier accueillait de nombreux musiciens de rue en été. Quelques survivants ou quelques héritiers s’y trouvaient peut-être. La persévérance est toujours récompensée. À l’angle de la rue Saint-André des Arts et André Mazet, je découvris enfin ce que je désespérais de dégoter ; un petit groupe pop/rock sympa. Composée de deux guitares (acoustique et électrique), d’une basse électrique, d’une batterie et d’un synthétiseur, la formation pouvait également compter sur une chanteuse et un troisième guitariste (également batteur) pour certains morceaux. Je passai la dernière heure de la soirée en leur compagnie. De Bob Dylan à ACDC, de Stevie Wonder à Téléphone, de Bruce Springsteen à Otis Redding, ils atténuèrent mes regrets, excepté celui de ne pas les avoir dénichés plus tôt dans la soirée. Je fus à deux doigts de les classer parmi les espèces disparues, avec leurs instruments au rebus.
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Seul bémol de ce dernier acte, quelques spécimens rares, parmi leurs proches et groupies, se plurent à parasiter les premiers rangs de l’assistance. Parmi eux, se distinguaient un trio de lourdauds aux gloussements de dindons et une grosse dondon à la robe à fleurs difforme. Elle n’arrêtait pas de se dandiner en pensant danser. Des pattes courtaudes de vache normande terminées par d’affreuses sandalettes, un fessier d’hippopotame, une tête de perruche, tout en elle s’agitait à contre-temps. L’ignorer était impossible, d’autant qu’en se trémoussant, un grand gobelet de bière à la main, elle éclaboussait régulièrement ses malheureux voisins. Je l’aurais bien jetée au beau milieu de la rave party hystérique du Marais, juste pour voir comment cela se serait terminé.
Sur le chemin du retour, dans le métro bondé, un bobo branché rendait grâce à Jack Lang d’avoir initié la fête de la musique. L’imbécile ! L’ancien ministre de la culture n’avait rien initié du tout. En bon politique, il avait tout plagié, concept et expérimentation. Imaginée dès 1976 par Joel Cohen, un musicien américain qui travaillait pour France Musique, cette célébration fut d’abord baptisée “Saturnales de la musique”. Elle s’adressait à des groupes de musique devant jouer en direct lors du solstice d’été et celui d’hiver (21 juin et 21 décembre). En juin 1981, André Henry, alors ministre du Temps libre, organisa la Fête de la Musique et de la Jeunesse. Coïncidant avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, un grand concert gratuit fut donné place de la République à Paris. Il réunit près de 100.000 personnes. Nommé directeur de la musique et de la danse au ministère de la Culture fin 1981, le compositeur et journaliste Maurice Fleuret se souvint de ces deux expériences. Ayant lui-même organisé les “Journées de musique contemporaine de Paris” de 1967 à 1974, il souffla l’idée d’une Fête de la Musique Nationale à Jack Lang, qui ne se fit pas prier pour se l’approprier, et l’officialiser en grande pompe (c’est le cas de le dire) le 21 juin 1982. Nous sommes donc en présence d’un magnifique triple pompage ! La Belgique a suivi l’exemple français en 1985, l’Allemagne en 1995, et l’Europe toute entière en 1997, avec une Charte de la “Fête Européenne de la Musique”, signée à Budapest. La Colombie a organisé sa première fête de la musique en 2003. Le modèle s’est exporté à New-York en 2003, en Chine en 2007, au Canada en 2008… Au total, plus de 120 pays et 350 grandes villes célèbrent aujourd’hui la Fête de la Musique à la française.
Il est d’autant plus dommage de constater la tournure que prend cet événement à l’heure actuelle en France. Rappelons que le principe de base de cette manifestation était d’offrir à tous les musiciens et chanteurs la possibilité d’exprimer leur art gratuitement, et ce quelque soit son niveau, dans l’espace public. Les affiches officielles éditées durant ces quarante dernières années mettent bien l’accent sur les instruments et la voix. Hier, dans 90 % des cas, Paris a fait la promotion d’événements sponsorisés ou commerciaux à but très lucratif. Ce fut une méga teuf en boîte de nuit extérieure. Brancher une sono et diffuser des enregistrements à fond la caisse n’a rien à voir avec l’expression musicale et la capacité à chanter ou jouer d’un instrument. C’est une arnaque intégrale, une escroquerie lamentable à la portée de n’importe quel bidouilleur sans scrupules. Hier, Paris n’a pas célébré la fête de la musique, mais bel et bien la défaite de la musique.
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Eh oui… Triste constat.
Mais rue Faidherbe, il y avait un peu de rock, rue Basfroi tous les punks encore en état de marche s’étaient donné rendez-vous pour des concerts d’anciennes gloires (Warum Joe, notamment). Problème : le bar était trop petit et étouffant, et on écoutait ça depuis la rue.
Et les inoxydables Tin Express jouaient comme chaque année rue de Bagnolet (j’avais jammé avec eux sur du Stones/Beatles/Wilson Pickett l’année dernière). Il y avait cette année 6 groupes s’enchaînant, entre rock, folk, soul…
En redescendant vers le 11e, effectivement les groupes de musiciens “réels” se trouvaient assez souvent confrontés aux basses d’un DJ installé dans le rade d’à côté. Sabotage en règle…
Mais en rentrant, j’ai assisté à un concert d’une célèbre formation de fanfare reprenant des standards de jazz et de pop : la rue Trousseau était carrément bloquée par la foule.
Ça devient vraiment naze, mais on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise… 😉
Il faudrait pétitionner pour que la “fête de la musique” devienne officiellement la “fête des musiciens” : on a tout à y gagner, en tous cas.
J’apprécié beaucoup ce que tu as dit sur la fête de la musique ; tu aurais du aller avenue d’Ivry, mon ancien quartier… je plaisante bisous
Je réside sur le quai de Valmy et je n’ai pu m’endormir que vers 2h du matin à cause de sons qu’on ne peut pas qualifier de musique tellement c’était détestable . Dernière fois que je passe la fête de la musique à Paris .
Fini la musique la fête de la MUSIQUE.
Je vis ici depuis 23 ans. Je vois chaque année la décadence de cette fête si belle. La musique devient du bruit. Nous n’écoutons pas : c’est si fort, ce bruit là… C’est une chose horrible, la fête de la musique à Paris. Triste …..
Ton récit est tellement vrai…! Pour ma part, cela fait plusieurs années que j’y ai renoncé pour toutes ces raisons que tu exposes si bien.
Et un grand merci pour le retour aux sources de cette fête que l’on pense tous créée et organisée par Jack Lang…
Mais, faut-il lui en vouloir en bon politique d’avoir repris à son compte ce que d’autres lui ont peut-être soufflé tout bas…!?