101 ÈME !
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Je ne saurais plus dire si l’événement se produisit par la grâce d’un vieux Ciné Revue ou d’un exemplaire du magazine Elle, mais l’apparition de Micheline Presle en Madame de Pompadour m’hypnotisa littéralement. Ce regard si clair, cette beauté lumineuse… Le garçonnet d’une dizaine d’années que j’étais alors venait d’entrevoir l’intensité du mystère féminin, ce mystère que je ne cesserai d’explorer de maintes façons par la suite. Les photos de l’actrice illustraient un article consacré au film historique de Sacha Guitry, “Si Versailles m’était conté”, sorti en 1954. La distribution regroupait des talents aussi divers que Jean Marais, Jean-Louis Barrault, Gérard Philippe, Jean-Pierre Aumont, Charles Vanel, Pauline Carton, Gino Cervi, Danièle Delorme, Jean Richard, Michel Auclair, Bourvil, Édith Piaf, Daniel Gélin, Orson Wells, Tino Rossi… mais je n’avais d’yeux que pour Micheline Presle.
Micheline Presle voit le jour le 22 août 1922, dans le cinquième arrondissement parisien. Pour l’état civil, elle se nomme Micheline Nicole Julia Émilienne Chassagne. Un père courtier en bourse, une mère artiste peintre, une enfance heureuse aux abords du jardin du Luxembourg, des vacances régulières sur la côte normande, tout est idyllique et la pousse doucement vers un avenir sans nuages. Son père l’accompagne souvent au cinéma et au music-hall, faisant naître un goût artistique et une curiosité intellectuelle qui ne la quitteront jamais. Le divorce de ses parents remet tout en question. Elle se réfugie dans les livres : la mythologie grecque, les romans de Jules Verne et Rudyard Kipling, des bandes dessinées. Elle veut s’évader d’une réalité tout à coup bien trop sombre. Le pensionnat catholique dans lequel on l’inscrit n’arrange rien, bien au contraire. L’adolescente se rebelle, devient séditieuse. La mère supérieure avertit : « Chassagne, si vous continuez, vous finirez sur les planches ! ». Une admonestation convoquant le bûcher et la descente aux enfers. Réfractaire et bravache, Micheline rétorque : « Mais je l’espère bien, ma mère ! ». C’est décidé, elle sera comédienne.
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L’insoumise Chassagne, du haut de ses 15 ans, prend l’habitude d’accompagner une amie actrice sur les plateaux de cinéma. Elle observe, enregistre et s’imprègne de tout ce qui nourrit déjà sa passion. Elle décroche un premier rôle (une invitée de la princesse Henriette) dans “La Fessée” (1937), de Pierre Caron. L’année suivante, elle campe une élève dans “Petite Peste”, de Jean de Limur, puis assure une figuration dans le film musical “Je Chante”, dont la vedette n’est autre que Charles Trenet. Elle ne manque pas un jour de tournage, même ceux où elle n’est pas convoquée. Comme dans la chanson éponyme, elle chante et fait le plein d’optimisme. Quelques mois plus tard, elle obtient son premier grand rôle dans “Jeune fille en détresse”, une comédie dramatique dont le scénario est écrit par Tristan Bernard. Elle y interprète une jeune pensionnaire d’un institut privé accueillant des enfants de couples divorcés. Elle doit faire face à la tentative de suicide de sa meilleure amie et au divorce imminent de ses parents. Le film sort en 1938 et c’est un succès. La carrière de la jeune Micheline est lancée mais son père n’en démord pas. Il lui répète : « Jamais tu ne seras actrice ! » et refuse catégoriquement que son patronyme soit associé à celui d’une vulgaire saltimbanque. Qu’à cela ne tienne ; elle décide alors de changer de nom. Dans “Jeune fille en détresse”, le personnage qu’elle incarnait, et qui lui rappelait sans doute certains épisodes douloureux de sa vie, s’appelait Jacqueline Presle. Elle saisit ce clin d’œil du destin. Micheline Chassagne s’appellera désormais Micheline Presle.
La seconde guerre mondiale et la période de l’occupation jette un voile sombre sur la société française. Pourtant, rien ne semble perturber l’ascension de la comédienne. Durant l’année 1940, elle tourne dans pas moins de quatre films : “Elles étaient douze femmes ”, avec Gaby Morlay, “La Comédie du Bonheur”, avec Michel Simon, “Fausse Alerte”, avec Joséphine Baker, et le fameux “Paradis Perdu”, d’Abel Gance, dans lequel elle assure un double rôle ! Elle poursuit sur un rythme effréné : une pièce de théâtre et deux films en 1941, trois en 1942, deux en 1943 plus une autre pièce de théâtre… Elle s’exile un temps à Cannes mais doit vite revenir à Paris pour subvenir aux besoins de sa mère et de son frère. Lorsque survient la libération, c’est une véritable star que tous les réalisateurs convoitent. Elle a acquis la notoriété, mais aussi le pouvoir. En 1947, elle use de ce pouvoir en imposant un jeune acteur quasiment inconnu pour lui donner la réplique et jouer son jeune amant scandaleux dans “Le Diable au Corps”, un drame réalisé par Claude Autant-Lara, qui fait écho aux situations désespérées vécues par bien des couples durant la guerre. Le succès est à la mesure du message vibrant contre la guerre et de l’interprétation magistrale des deux acteurs.
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La consécration est définitivement actée pour celle qui avait déjà marqué les esprits dans une douzaine de films importants parmi lesquels “Félicie Nanteuil”, “Falbalas” (à l’origine de la vocation de Jean-Paul Gaultier), et “Boule de Suif”. Sa voie semble toute tracée mais une affaire de cœur va bouleverser sa vie. Elle tombe follement amoureuse de Bill Marshall, qui vient de divorcer de Michèle Morgan. Ils se marient en 1949 et Micheline Presle suit l’acteur-réalisateur américain aux USA. Sa carrière française est stoppée net. Elle tourne quelques longs métrages avec la Fox, de son propre aveu sans grand intérêt. De leur union, naît, en 1951, Tonie Marshall, l’actrice réalisatrice décédée en 2020. Micheline Presle ne se plait guère en Amérique, d’autant que les relations conjugales se dégradent vite. Le divorce est prononcé en 1954. Bill Marshall se remariera quelques années plus tard avec Ginger Rogers. Visiblement, le producteur américain avait un faible pour les actrices blondes.
Les retrouvailles avec le pays de Voltaire et Molière sont difficiles. Tout est à recommencer pour Micheline Presle. Elle se souvient : « À mon retour en France, on ne voulait plus de moi, et ça n’est jamais reparti comme avant ». Le cinéma la boude ? Peu importe, elle n’est pas du genre à se morfondre sur son sort. Elle opte pour le théâtre. Au total, sa carrière théâtrale compte une vingtaine de pièces. Georges Feydeau, Marcel Achard, Albert Husson, Louis Verneuil, Copi, Jérôme Savary, Jean-Michel Ribes, Colette, Éric-Emmanuel Schmitt lui ouvriront, entre autres, leurs univers. Dans le même temps, elle ne cesse de s’intéresser à la nouvelle génération de réalisateurs et metteurs en scène. Elle a toujours soif de découvertes et elle va reconquérir le cœur des français dans un domaine où on ne l’attendait pas : le feuilleton télévisé.
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De 1965 à 1970, une des premières séries télévisées françaises fait un carton : “Les Saintes Chéries” ! À cette époque, aucune actrice de cinéma n’osait se risquer dans ce registre. Micheline Presle relève le défi. Avec Daniel Gélin, elle donne vie au couple Lagarde (Ève et Pierre). Ancêtres des bobos parisiens, tous deux se débattent dans les tribulations quotidiennes du citadin aisé en quête d’ascension ou de survie. Micheline/Ève y jette les jalons d’une émancipation féminine qui était loin d’être évidente en 1965. Elle apparaît comme une femme libérée qui réussit l’exploit de mettre tout le monde de son côté, irréductibles machos y compris. Trouver le ton pour faire passer ce message de façon sympathique n’était alors pas une mince affaire. La quarantaine d’épisodes sera accueillie avec la même ferveur au Canada. Dans cette série, devenue culte, apparaitront de nombreux comédiens confirmés ou en passe de l’être : Jean Yanne, Jacques Balutin, Marthe Villalonga, Roger Carel, Daniel Prévost, Patrick Préjean, Marthe Mercardier, Jacques Higelin, Rufus, Robert Castel, Jackie Sardou, Philippe Castelli, les Charlots, Romain Bouteille, Xavier Gélin, Dani Saval, Pierre Doris, Tonie Marshall, Gérard Rinaldi, Bernard Lavalette… Réalisé par Jean Becker, ce feuilleton à l’ironie bon enfant, plébiscité dès ses premières diffusions par 50 millions de Français, est sans nul doute LE feuilleton historique de l’ORTF.
Bien sûr, on pourra toujours regretter que Micheline Presle n’ait eu le loisir de poursuivre sur sa lancée des années 1940/1950, mais il est à noter que de 1937 à 2016, elle n’a jamais cessé de tourner. En 80 années de carrière, elle a participé à 120 longs métrages avec des réalisateurs tels que Abel Gance, Marc Allégret, Marcel L’Herbier, Christian-Jacque, Claude Autant Lara, Jacques Becker, Jean Delannoy, Fritz Lang, Sacha Guitry, Joseph Losey, Édouard Molinaro, Philippe de Broca, Jacques Demy, Julien Duvivier, Jean Girault, Samuel Fuller, Marcel Chabrol, Alain Resnais, Francis Girod, Patrick Chesnay, Jean-Pierre Mocky, pour n’en citer que quelques uns. Quant à ses partenaires sur scène, masculins ou féminins, la liste exhaustive serait bien trop longue à détailler. Parmi les plus célèbres, défilent Charles Trenet, Gérard Philippe, Joséphine Baker, Jean Gabin, Errol Flynn, Tyrone Power, Alain Delon, Marcello Mastroianni, Pierre Brasseur, Bernard Blier, Charles Vanel, Tino Rossi, Danièle Delorme, Gino Cervi, Brigitte Bardot, François Périer, Jeanne Moreau, Jean-Claude Brialy, Romy Schneider, Jean Seberg, Vittorio Gassman, Annie Girardot, Jean-Pierre Cassel, Arletty, Paul Newman, Gina Lollobrigida, Jean-Paul Belmondo, Michel Galabru, Catherine Deneuve, Sami Frey, Claudia Cardinale, Jean Rochefort, Michel Londasle, Marlène Jobert, Jean Yanne, Bernadette Lafont, Pierre Mondy, Danielle Darrieux, Jodie Foster, Gérard Depardieu, Victoria Abril, Thierry Lhermite, Stéphane Audran, Claude Pieplu, Sophie Marceau, Pierre Richard, Nathalie Baye, Michel Serrault, Alain Chabat, Richard Berry, François Cluzet… Heureusement qu’on s’est limité aux plus connus….
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Ce mardi 22 août 2023, Micheline Presle a fêté ses 101 ans. Les années ont passé sur la noble dame que j’avais découvert enfant, mais, à chaque fois que je croise son regard au cinéma ou à la télévision, sur papier glacé ou sur internet, il me parait toujours aussi fascinant. Son charme continue d’opérer avec ce port de tête altier, ce visage expressif, qui affirme et interroge en même temps, et qu’elle accompagne souvent d’une main furtive, délicate parenthèse, ponctuation subtile d’un sentiment évanescent. Et d’une sensibilité tellement féminine ! Elle qui est membre du comité d’honneur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, et qui, en 2009, avait cosigné un texte réclamant la dépénalisation de l’euthanasie, est une centenaire avec une jeunesse d’esprit inaltérable. Son secret ? Peut-être en dévoilait-elle une partie lors d’un entretien sur France Culture, en 2005 : « Quand je me vois petite fille, à dix ans, je me retrouve complètement. C’est difficile de dire que je n’ai pas changé… mais j’ai une espèce de plaisir à ça. J’aime bien cette petite fille, peut-être parce qu’elle est toujours restée avec moi… ».
Super ce que tu as écrit ! J’adore cette femme au travers de ses films mais aussi surtout par les “Saintes cheries” que regardaient mes parents…une femme qui est restée toujours belle !