APLOMB DE FAÇADE
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Récemment, en arpentant le boulevard Voltaire, dans un onzième arrondissement parisien qui m’est cher, j’eus la surprise de découvrir une œuvre picturale bien étrange. À une bonne douzaine de mètres du sol, si ce n’est plus, tracée en grandes lettres majuscules au beau milieu d’une façade d’immeuble, l’inscription « JE DOIS M’OCCUPER » attira mon attention. Elle était surmontée de deux taches énigmatiques, dont j’ignore encore aujourd’hui la symbolique. Le plus intriguant dans cette affaire n’était pas tant la signification de l’œuvre elle-même (la capitale nous a habitués à une prolifération de tags et graffitis aux qualités très discutables), mais la manière dont elle avait pu être réalisée.
Comment diable son auteur s’y était-il pris pour aller peindre et écrire cela à une telle hauteur ? A priori, il n’existait aucun point d’appui envisageable. Que ce fût par le toit ou par les côtés, il ne semblait pas y avoir de possibilités d’accès très fiables. À moins de s’appeler Spider Man ou Peter Pan, le défi paraissait insurmontable. Et puis, pourquoi prendre autant de risques ? Le message délivré, sous couvert d’un humour absurde, un peu surréaliste, revêtait une forme assez anodine. Absorbée par ces interrogations hautement philosophiques, je m’attardai quelques secondes, le nez en l’air, sur le trottoir. Une voisine passant par là me confia alors : « Moi aussi, chaque fois que je regarde ce mur, je me demande comment il a bien pu faire ! À mon avis, il a dû profiter d’un échafaudage et de travaux en cours. ». Bien tenté… mais je lui fis remarquer que, vu l’état du bâtiment et la décrépitude de la façade, il n’y avait pas dû y avoir de ravalement depuis longtemps. Quand bien même une telle opportunité se serait présentée, les ouvriers auraient eu tôt fait de recouvrir l’objet du délit à la peinture blanche, juste avant de démonter leur échafaudage. L’énigme demeurait donc entière. Un autre détail plaidait pour le caractère clandestin de l’ouvrage. Tout en haut de l’immeuble, en plus petit, se détachait une seconde phrase, de la même couleur : « Le voisin a fait 17… ». Le 17 étant le numéro d’appel de police secours, on pouvait imaginer qu’un voisin, témoin du forfait, avait donné l’alerte par téléphone. Apparemment en vain, puisque le coupable avait pris un malin plaisir à relater ce détail, en rajoutant une couche, telle une signature insolente et ironique. Continuant à deviser sur le sujet, nous nous éloignâmes, ma voisine et moi, des lieux du crime. Un peu plus loin, devant une agence d’intérim, une bribe de conversation nous sauta aux oreilles. Sur le pas de la porte, téléphone mobile en main, la patronne de l’office se plaignait haut et fort : « C’est effarant, ça ! Ne me dis pas qu’aujourd’hui, dans une ville comme Paris, on ne trouve plus aucun peintre en bâtiment ! Tu n’as qu’à remettre une annonce. Ne me dis pas que de ça aussi, je dois m’occuper ! »…