CLASSIQUE ET NOSTALGIQUE
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Il en va de certaines lectures comme de certaines musiques. Elles sont liées à des époques et des sentiments. Elles nous font voyager dans l’imagination et hors du temps. Elles sont libérations ou attachements. Les plus marquantes restent à jamais fichées dans notre mémoire. Parfois, les plus anciennes y déposent de doux sédiments, que l’on pensait ensevelis sous le poids des ans, mais qui remontent à la surface soudainement. “Le Rouge et le Noir” fait partie, en ce qui me concerne, de ces soupirs inaltérables. Le célèbre roman de Stendhal vînt à moi au début des seventies. Alors lycéen en proie aux premières amours adolescentes, aussi secrètes que platoniques, je m’étais laissé emporté, dès les premières pages, par un langoureux tourbillon existentiel. J’avais embarqué sur un navire battant pavillon émotion, bringuebalé entre passion et pardon, exaltation et malédiction, cogitation et agitation. Tantôt Madame de Rênal, tantôt Mathilde de La Mole, j’avais exploré les délicieux arcanes de leur psychologie féminine comme on part à la découverte d’océans inconnus. Le pauvre Julien Sorel, malgré ses ambitions et son ascension, ne pouvait éveiller en moi les mêmes frissons. Récemment, j’ai revu l’adaptation cinématographique, réalisée en 1954 par Claude Autant-Lara, avec Gérard Philippe et Danielle Darrieux. Chose inhabituelle, cela m’a incité à relire ce classique. Je savais où retrouver l’ouvrage qui m’avait happé lors de mes jeunes années. Il dormait sur l’une des étagères de ma chambre d’étudiant, dans la maison familiale. C’est l’un des rares livres de cette époque que j’ai conservé. Les pages avaient jauni, comme les feuilles des arbres d’automne. Brusquement, je me suis dit que cette œuvre correspondait parfaitement à cette saison, avec ses impressions, son spleen, ses colorations, ses émotions. J’avais découvert “Le Rouge et le Noir” par un automne lorrain pluvieux, après une rentrée studieuse dans un lycée mosellan austère. Je m’y replonge en ce mois d’octobre 2023, alors que sa toute première publication mentionne la date du 13 novembre 1830… et que le film éponyme est crédité d’une sortie sur les écrans français le 29 octobre 1954 ! Trop de coïncidences ne peut être coïncidence. Je relis ce récit qui relie mon printemps à mon automne. C’est le timing parfait pour rechercher l’ancien plaisir de la nouveauté, pour réconcilier l’ombre et la lumière. Sans plus attendre, vous devriez essayer.
Et quand vient le soir,
Pour qu’un ciel flamboie,
Le rouge et le noir
Ne s’épousent-ils pas ?
(Jacques Brel, Ne me quitte pas.)
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