MA CHEVAUCHÉE FANTASTIQUE
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J’aime les surprises parisiennes, celles que l’on recherche lors de promenades dans la capitale, ou celles qui viennent à nous subrepticement, au gré du hasard, lors de déplacements quotidiens que l’on pensait tout à fait banals. Il y a quelques jours, marchant d’un pas rapide, je rejoignais mon domicile dans le onzième arrondissement. Soudain, en débouchant dans la rue Faidherbe, mes oreilles se dressèrent. Foin de sirène deux tons ou de vrombissements motorisés, un martèlement caractéristique me mit en alerte dans la seconde. Je tournai la tête. Trois magnifiques alezans venaient de faire leur apparition dans mon champ de vision. Comme la plupart des passants pressés, je stoppai net ma course citadine et me mis au garde à vous pour regarder passer le sublime équipage.
Montés par trois cavaliers de la garde républicaine, deux hommes et une femme, les chevaux semblaient apprécier d’être le centre de l’attention. Ils allaient tranquilles, d’un train de sénateur, ignorant le démarrage des voitures, l’accélération des motos, le freinage des bus ou des camionnettes. Tout ce tintamarre désordonné et inutile ne semblait nullement les atteindre. Ils dégageaient une impression de calme et de sérénité, doublée d’un charisme qui faisait instantanément effet sur tous les bipèdes environnants, des plus jeunes aux plus âgés. La noblesse du cheval n’est plus à démontrer. Elle a, depuis des siècles, été vantée et célébrée. En avoir la démonstration vivante dans un contexte urbain peu habitué à tant de grâce et de majesté décuplait l’impact de leur apparition. Il y avait quelque chose d’irréel, comme une parcelle de rêve, un sillon fantastique qui s’ouvrait sur leur passage, et se refermait derrière eux.
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Tout à coup, nos petites préoccupations de citadins pressés n’avaient plus grande importance. Elles passaient au second plan. À l’instar d’une petite escouade de badauds, je me mis à suivre le trio de cavaliers. Qu’avais-je de mieux à faire en ce milieu d’après-midi automnal ? Je trottinai quelques instants à leur hauteur afin de prendre quelques photos avec mon smartphone. Leurs jambes étaient bien plus longues que les miennes ; elles ne me facilitaient pas la tâche. Il fallait sans cesse hâter la cadence. Par chance, au carrefour des rues les plus étroites, mon tiercé de cœur marqua plusieurs arrêts pour laisser passer les voitures leur filant le train. Lors de ces courtes pauses, on pouvait s’apercevoir que, sous une apparence désinvolte, les animaux faisaient preuve d’une attention soutenue. Leurs oreilles pivotaient régulièrement pour faire le tri dans la pollution sonore environnante et capter tous les signaux auditifs importants. De même, leurs grands yeux, si doux et si affectueux, accomplissaient un balayage constant des alentours immédiats. Ces chevaux avaient certes confiance en les humains qui les montaient, mais ce n’étaient vraisemblablement pas le cas à l’égard de tous ceux qui les entouraient.
La petite escouade remonta une impasse et resta quelques minutes en faction non loin d’un établissement scolaire. Rarement, je vis une sortie des classes aussi joyeuse et admirative. Les parents compréhensifs acceptèrent de différer leur départ. Les autres eurent beau piaffer d’impatience, ils furent également contraints d’attendre le retrait de la cavalerie avant d’escorter leur progéniture jusqu’au bercail. Certains enfourchèrent leurs tricycles et leur vélos électriques, avec leurs enfants en croupe sur les porte-bagages aménagés. Durant quelques instants, ils suivirent, à distance respectable, les trois destriers. Derrière leurs trois superbes éclaireurs, ils formèrent ainsi une étrange caravane, accompagnée par les applaudissements des piétons. Des « Bravo la gendarmerie ! » et « Vive la Garde Républicaine ! » fusèrent sur leur passage. Au feu rouge, un motard releva la visière de son casque intégral et leva les deux pouces en l’air, hommage d’une cavalerie à une autre, tandis qu’un vieux monsieur retirait son chapeau en inclinant respectueusement la tête. Pour une fois, tout le monde était d’accord.
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À contre-cœur, il fallut bien que nos chemins se séparent. J’avais consenti, avec grand plaisir, quelques détours par rapport à mon itinéraire initial, mais je devais, moi aussi, me résigner à réintégrer le monde des obligations terre à terre. Je ne regrettais rien de cette escapade épique. D’ordinaire, de telles occasions ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. Les trois chevaliers modernes descendirent le boulevard Voltaire puis bifurquèrent dans la rue de Charonne. Un instant, j’eus l’impression qu’ils m’adressaient un signe de la main, comme un signe d’adieu. Ils ne faisaient que respecter le code de la route, tendant le bras pour indiquer qu’ils tournaient à droite. La plus jeune des pouliches m’adressa une ultime œillade, complice et malicieuse. Sans doute avait-elle remarqué, en tout cas je me plais à le croire, mon manège de suiveur admiratif. Les chevaux sont également réputés détenir une excellente mémoire visuelle. Les douze sabots ferrés martelaient délicieusement le macadam, continuant à faire tourner des têtes émerveillées. Au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient, leur cliquetis profond s’estompait. Petit à petit, la silhouette des trois centaures s’amenuisait, jusqu’à se fondre dans le flot maussade de la circulation ordinaire. Je rajustai les brides de mon sac à dos. Il était grand temps de galoper jusqu’à mon domicile.
Quel beau texte ! Merci