CONNAIS-TU CAPHI ?

CONNAISSAIS-TU CAPHI ?

Photo Manuel Braun

Connaissiez-vous Caphi ? Poser la question, c’est déjà, en creux, un peu y répondre. Quiconque a pu un jour rencontrer Caphi, ou même échanger avec elle par téléphone ou internet, ne peut que s’en souvenir. Une telle personnalité ne s’oublie pas. Caphi, Caroline pour l’état civil, était à elle seule une interconnexion relationnelle. Elle avait cette capacité rare à entrer en contact avec les gens, à nouer le dialogue et à les faire se rencontrer, malgré leurs différences. Elle avait cet enthousiasme et cette sincérité particulières, qui se conjuguent et se transforment en générosité, quelles que soient les difficultés du moment. Et Dieu sait, s’il existe, combien elle-même a dû en surmonter, tout au long d’une existence parfois bien ingrate à son égard.

Ma première rencontre avec Caphi remonte à une quinzaine d’années, dans les salons de l’Hôtel de Ville parisien. Une vingtaine d’artistes et de personnalités féminines devait lire des extraits de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Des femmes énonçant les droits de l’homme, l’initiative était savoureuse. Je discutais avec l’actrice Marthe Mercadier, qui devait intervenir juste avant moi, quand, du coin de l’œil, je repérai une silhouette originale, qui, malheureusement, disparut presque aussitôt de mon champ de vision. Plus tard, alors que je m’apprêtais à prendre congé, une fonctionnaire de la mairie de Paris, qui m’avait présentée à tout le monde comme LA journaliste transgenre de Pink tv, me demanda : « Vous connaissez Caphi ? C’est une journaliste comme vous. ». Le “comme vous” voulait dire du troisième genre, mais j’avoue n’avoir pas saisi la nuance immédiatement. Et puis, Caphi a surgi de je ne sais où. Mon interlocutrice l’a interpellée afin de nous présenter. J’étais sur le point de partir, mais nous avons entamé une petite discussion… qui s’est terminée deux heures plus tard ! Caphi était très bavarde.

Au départ, je me suis demandé si elle n’en rajoutait pas un peu quant à son hyperactivité culturelle. Son planning était aussi chargé qu’un maquillage de drag queen en pleine Gay Pride. À l’en croire, il ne se passait pas un jour sans qu’elle assiste à une pièce de théâtre, qu’elle se rende à un concert, qu’elle participe à un débat ou une conférence, qu’elle visite un musée, qu’elle découvre un film d’auteur, qu’elle lise de la poésie ou des essais, qu’elle s’engage dans des actions caritatives… À la fréquenter, j’ai rapidement eu la confirmation qu’elle n’exagérait pas. C’était à se demander où elle puisait toute cette énergie et comment elle pouvait entretenir une telle disponibilité. Aujourd’hui encore, je n’ai pas la réponse. Deux de ses carburants essentiels étaient sans doute une curiosité intellectuelle et une soif de rencontres en tous genres. Elle aimait aller vers l’autre. En retour, elle n’attendait qu’une seule chose : que l’autre aille vers elle.

En 2009, nous avions été engagées pour trois journées de tournage dans le film d’Arnaud Sélignac “Notre Dame des Barjots”, avec Zabou Breitman, Catherine Jacob et Fabienne Chaudat. Les barjots, ce n’étaient pas nous, mais le scénario nous avait, une fois de plus, cantonnées dans des rôles de prostituées. Peu importe. Nous avions l’habitude. Ce fut l’occasion pour moi de présenter Caphi à ma fidèle complice Giovanna. Entre la Parigote bavarde et la Brésilienne exubérante, le courant passa instantanément. De Paris à Sao Paolo, la distance n’est pas si grande. Les prises de vue avaient lieu sous le périphérique, porte de la Villette. Autant le décor était glauque, autant l’ambiance que nous y avons plantée fut colorée. Bien aidées par notre ami comédien Raymon Blailock, lors de la pause dîner, nous avions surchauffé le petit chapiteau-cantine comme jamais. Des éclats de rires fusaient de toute part, en réaction à nos sketches improvisés. À tel point que, intriguée par ce remue ménage insolite, Zabou Breitman, qui dînait dans le chapiteau d’à côté, celui réservé aux VIP, vint voir de quoi il retournait. L’après-tournage nocturne se prolongea jusqu’à plus d’heure, dans la voiture de Fabienne Chaudat, qui avait eu la gentillesse de nous raccompagner en même temps que Zabou Breitman. Cette dernière, désireuse de mieux nous connaître, ne cessait de relancer la conversation. Elle ignorait à qui elle avait affaire. Le lendemain, lors de la reprise du tournage, nous n’étions guère fraîches. Et, pour une fois, nettement moins bavardes.

Lors du tournage du téléfilm : Notre Dame des Barjots.

Le début des années 2010 fut une période difficile pour tout le monde. Pink tv, qui avait un temps entretenu l’espoir de nous confier une émission hebdomadaire, s’était bel et bien cassé la figure avec perte et fracas. Les autres chaînes que nous avions démarchées étaient peu enclines à nous donner une véritable chance. On voulait bien nous voir de temps en temps, mais ne surtout pas nous entendre. Caphi a continué à prospecter tous azimuts, pour son plaisir, pour ses articles, pour sa passion, pour nos illusions. Un soir, quelqu’un nous a dit : « Dans la vie, faut pas se faire d’illusions » ! Caphi et moi, nous nous sommes regardées, et, de concert, avons contre-attaqué : « Bien sûr que si ! Il faut se faire des illusions. Ce sont les illusions qui permettent d’avancer, de rêver, de se projeter… Et quand bien même elles ne feraient que nous bercer, c’est déjà ça de gagné sur la triste réalité. ». Une autre fois, on nous fit cette réflexion lourde de sens : « Ouah… Vous êtes transgenres et en plus, vous êtes journalistes ! Chapeau… ». Comme si nous avions dépassé un handicap insurmontable. Sans doute cette personne ne pensait pas à mal. Peut-être même croyait-elle nous faire un compliment. Mais ce compliment sonnait bizarrement. Il débordait de commisération. Les deux journalistes transgenres ont poursuivi leurs efforts sans ménager leur peine, dans tous les sens du terme. Durant plusieurs années, nous avons échafaudé des projets communs, dans le domaine radiophonique et audiovisuel. On nous a toujours chaleureusement félicitées… et souvent piqué de belles idées ! À l’inverse d’une musique déposée à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) ou d’un écrit déposé à la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), on ne peut pas protéger un concept. Malgré tout, Caphi resta optimiste. Elle ne cessa de rencontrer des personnalités politiques et médiatiques. Toutes la complimentèrent et la trouvèrent fort sympathique, mais aucune ne lui mit vraiment le pied à l’étrier. Nous avons finalement renoncé à notre duo et avons, chacune de notre côté, repris notre quête de reconnaissance. Nous avons prostitué notre écriture dans des tâches alimentaires. Quand on est transgenre, on finit toujours par prostituer quelque chose. Nos seuls espaces de liberté et de création furent nos blogs respectifs. Internet servit au moins à cela. Avec l’humour qui la caractérisait, Caphi surnomma le sien “La Webdromadaire”. Il lui permit de traverser certains épisodes arides sans renoncer à ses espoirs. Il contribua aussi à maintenir le lien avec une communauté importante.

Le petit groupe que nous avions formé autour d’initiatives prometteuses s’était dispersé faute de retombées financières. Nous restions liées, mais nous nous retrouvions moins souvent. Certaines tentaient leur chance dans d’autres secteurs. D’autres avaient quitté la capitale. Caphi maintenait le contact et assurait le “go-between”. Elle était toujours au courant de ce que l’une ou l’autre devenait. Elle avait toujours la primeur de l’ouverture de tel ou tel lieu sympa pour le troisième genre. Nos conversations téléphoniques se prolongeaient souvent de façon déraisonnable. Vous ai-je dit que Caphi était bavarde ? En 2016, une éclaircie zébra mon horizon. J’intégrai l’équipe du Grand Journal, sur Canal +. Étrangement, cela arrivait après mon renoncement à relancer mes propositions envers eux. Je démarrai cette nouvelle aventure en solo, mais avec une petite idée derrière la tête. Giovanna était repartie au Brésil pour quelques mois et Caphi se remettait d’ennuis de santé que je ne savais pas encore si graves. Je partais sur la chaîne cryptée en éclaireuse, ayant bon espoir de préparer le terrain pour une avancée collective. Notre troupe de choc se remobilisa avec la création du GIGGN (le Groupement International des Grandes Gueules Nyctalopes). À l’instar des initiatives de Pierre Dac en 1965 et de Coluche en 1981, nous initiâmes une campagne électorale parodique en vue de la présidentielle de 2017. L’opération fut relayée sur les antennes de Canal + et de France Inter. Caphi fut bombardée ministre de la culture et de l’excommunication. Coiffée d’un chapeau emblématique, elle campa la dite ministre de façon magistrale, dans un clip mémorable (voir en fin d’article). Ce fut notre Jack (mauvaise)Lang des trans. Ce fut également elle qui dénicha notre lieu de tournage principal, au Centre Wallonie-Bruxelles, grâce à ses relations dans le milieu du théâtre. Elle fut une ambassadrice incollable ès apposition de nos affiches dans tout Paris. Giovanna, Axelle, Melany, Samantha, Olivia, Diana, Caphi et moi avons alors renoué avec l’immense plaisir de jouer la comédie ensemble, de surajouter nos délires à nos inventions loufoques, de jeter nos idées à la volée, d’imaginer des développements heureux, de nous refaire des illusions… Jusqu’à ce que Vincent Bolloré décide de supprimer le Grand Journal et les Guignols, et d’assassiner définitivement l’esprit Canal.

Caphi, en campagne pour le GIGGN.

Cette formidable aventure regorge de souvenirs inoubliables pour chacune d’entre nous. Ce fut aussi le dernier tournage réalisé avec Caphi. Un an et demi plus tard, le Covid 19 sonna le glas des relations sociales et notre groupe n’y échappa pas. Nouvelle interruption de nos rencontres, nouvelle parenthèse maussade. Lorsque l’on fait partie de la communauté transgenre, être condamnée à ne plus voir ses amies est une peine capitale. Cela nous ronge le cerveau. C’est un supplice supplémentaire, que le téléphone ou internet ne peuvent que partiellement adoucir. Sans que nous le sachions, dans le même temps, Caphi affrontait une autre épreuve avec la récidive d’un cancer tenace. Nous la pensions en rémission. Ce n’était pas le cas. Pourtant, elle persévérait dans ses activités culturelles et ses engagements humanitaires. Je me souviens d’un appel tardif en plein confinement Covid. Caphi revenait d’une maraude nocturne en faveur des sdf du 17ème arrondissement ! Elle qui ne roulait pas sur l’or et avait une santé précaire, avait pris tous les risques pour apporter quelques vêtements et beaucoup de réconfort aux plus déshérités. Elle s’était aussi impliquée en faveur des Petits Frères des Pauvres et des Restos du Cœur, défendait la Fondation Abbé Pierre et faisait la promotion de lieux communautaires parisiens. À la voir arpenter le quartier des Batignolles avec entrain et bonne humeur, on pouvait difficilement imaginer qu’elle souffrait déjà beaucoup. Elle a donné le change jusqu’en 2020, puis a décidé de quitter Paris. Cette résolution a étonné bon nombre de ses connaissances, qui la savaient très attachée à la vie culturelle de la capitale. Mais on ne discutait pas les choix de Caphi ! Notre amie a pris la direction du Roussillon, avec le désir de se rapprocher de la nature et d’une vie plus tranquille.

Destination Céret, la capitale de la cerise, dans le Vallespir ! Quand Caphi a annoncé cela, nous avons été perplexes. Céret, Vallespir ? Il a fallu consulter la carte de France pour savoir que cette petite ville de 8000 habitants se situait à 30 km au sud de Perpignan, dans les Pyrénées Orientales. Le titre de capitale de la cerise était certes alléchant, mais, excepté un musée d’art moderne, le lieu semblait peu propice aux explorations culturelles dont notre copine était friande. Lors d’une longue (et même très longue) conversation téléphonique, Caphi me rassura, affirmant qu’elle voulait désormais se ressourcer, lire, méditer, écouter de la musique et vivre en osmose avec la nature. Why not ? On a tous et toutes envisagé, à un moment ou à un autre, un retour aux sources qui nous permettrait de savourer une existence plus sereine et apaisée, loin de la ville, de ses tracas et de ses trépidations quotidiennes. Je l’ai donc crue, du moins au début. Par la suite, au cours des années 2021 et 2022, nous avons constaté que la situation se dégradait progressivement. Caphi habitait dans un mobile home, au camping des Bruyères. En été, le cadre naturel est idylique, mais les hivers sont rudes aux abords des Pyrénées. Certaines photos publiées sur facebook trahissaient un inconfort ostensible. Plus inquiétant, ses problèmes de santé s’aggravaient. Caphi se déplacait avec des béquilles. Ses jambes la martyrisaient. Le cancer gagnait du terrain et les effets secondaires des traitements devenaient aussi délétères que le mal qu’ils étaient sensés combattre. Plusieurs options thérapeutiques furent tentées. Obtenir des rendez-vous et effectuer des déplacements jusqu’à Perpignan pour consulter des spécialistes était de plus en plus exténuant. Il y aurait beaucoup à dire sur les lacunes d’un suivi approximatif et la manière dont fut traité son dossier médical durant cette période. Un voisinage peu compréhensif, une mobilité réduite, des faux amis lui laissant entrevoir des solutions jamais concrétisées, tout semblait se liguer contre elle. Tout, sauf un ami extraordinaire, aux grands yeux verts. Un ami très cher, prénommé Arthur.

Caphi et Arthur.

Cette boule de poils et d’intense affection égaya comme personne les dernières années de Caphi. Souvent, elle publiait des messages audio de ses ronronnements. Elle les alternait avec le chant des oiseaux au matin. Elle ponctuait ces moments privilégiés de commentaires chuchotés à voix basse. L’auditeur tendait l’oreille, escomptant une révélation secrète, une confidence intime… Caphi murmurait un préambule, du style “écoutez bien ce qui va suivre”… L’auditeur non averti retenait son souffle, gagné par l’impérieuse nécessité de ne faire aucun bruit, comme s’il se trouvait tout près de notre amie, et, légèrement déconcerté, ne comprenait pas toujours les doux ronronnements ou les délicats gazouillis. C’était “signé Caphi”, comme elle concluait elle-même ses interventions (cf son allocution ministérielle dans le clip vidéo). Nous aurions aimé être auprès d’elle, lui apporter des bouquins, partager un dîner, terminer la soirée en refaisant le monde comme avant, mais nous nous disions qu’elle allait finir par revenir à Paris et que nos retrouvailles n’en seraient que plus belles. Elle est effectivement revenue à Paris durant l’été 2023, mais, après un séjour à l’hôpital Georges Pompidou, elle a été transférée en septembre à l’hôpital Cognacq-Jay. Barbara, une de ses amies proches, m’a prévenue qu’elle avait été admise en unité de soins palliatifs. Ces derniers mots m’ont glacé le sang. Caphi ne nous avait rien dit ! L’amitié a parfois de ces pudeurs incompréhensibles. Après plusieurs appels téléphoniques infructueux, elle a enfin décroché. Elle parlait difficilement, a avoué être très fatiguée, mais se réjouissait de me revoir. Nous avons fixé un rendez-vous trois jours plus tard. J’ai aussitôt appelé Giovanna, ma partenaire de tous les combats, qui accepta de m’accompagner avant même que j’eusse à le lui demander. Inutile de préciser que nous n’en menions pas large en arrivant devant l’hôpital. Mais, nous aurions dû nous en douter, Caphi nous réservait une surprise dont elle avait le secret.

Elle nous attendait dans le hall d’entrée, joliment habillée et maquillée, radieuse et le verbe haut. Giovanna et moi échangeâmes un regard perplexe. Caphi ne nous laissa pas le temps de respirer : « Venez vite ; il faut que je vous présente le personnel de l’accueil. Après, je vous présenterai les infirmières de mon service ; elles sont géniales. Tout le monde est sympa ici. Mais avant, on va aller se promener dans le parc. On fera une halte à l’ombre des arbres. Vous verrez comme c’est beau et tranquille. Allez, on y va. Poussez-moi ! ». Joignant le geste à la parole, elle imprima un demi-tour à son fauteil roulant et invita Giovanna à en saisir les poignées pour la diriger. Et fouette cocher, nous voilà parties dans les allées ! Nous lui avions apporté des bouquins et du chocolat. J’avais pris mes renseignements avant. Caphi adorerait le Lindt noir, mais pas trop noir, et de préférence bio. Moi, j’étais plutôt Côte d’Or au lait. Le débat fut engagé. Avec Caphi, il fallait toujours argumenter. C’était une belle après-midi ensoleillée. Des oiseaux chantaient, comme à la campagne. Caphi nous le fit remarquer. Peut-être l’avaient-ils suivie depuis Céret ? Après une heure au grand air, nous sommes montées dans sa chambre. En repassant dans le hall, Giovanna a légérement buté contre un rebord de porte coulissante. Caphi n’a pas manqué l’occasion de fustiger sa conductrice. On aurait dit De Funès et Montand dans “La Folie des Grandeurs”. Derrière elles, hilare, je n’en finissais plus de glousser. Nous avons poursuivi nos impros dans sa chambre. J’ai pris une chaise, l’ai placée à côté de son fauteuil, et nous avons mimé un départ en vacances dans les embouteillages parisiens. Je tenais le volant, Caphi incarnait une co-pilote hystérique et Giovanna filmait. Les rires des infirmières nous encourageaient à en faire des tonnes. Nous avions reconstitué un trio majeur du GIGGN. Cela nous faisait un bien fou à toutes les trois. Nous revivions un peu de nos extravagances d’avant. Ces trois heures passées ensemble furent surréalistes. En repartant, Giovanna et moi, nous discutâmes quelques minutes devant l’établissement. Nous étions assez décontenancées. Nous nous attendions à voir notre amie clouée sur son lit d’hôpital, dans un service de soins palliatifs qui n’est jamais de bon augure. Au lieu de cela, nous avions retrouvé une Caphi exubérante, dans une forme quasi-olympique.

Décidément, Caphi était déroutante. Nous le savions déjà, mais là, elle avait fait fort. Aussi, espérions-nous qu’elle allait encore nous étonner, qu’elle allait réussir à repousser l’échéance au delà du rationnel. Ses publications de plus en plus espacées sur son blog contredisaient nos espoirs. On ne se bat pas à armes égales contre un cancer généralisé, mais qui sait ? Caphi, que l’administration avait reconnue sous le prénom de Caroline, méritait bien de savourer plus longuement un changement d’état civil récent. Elle avait si longtemps bravé des vents contraires. Une amie commune admit que cette pensée était charitable, mais que la réalité l’était rarement avec nous. Selon elle : « Être transgenre, c’est être condamnée à toucher du doigt nos aspirations les plus hautes sans jamais pouvoir les atteindre vraiment ». Quinze jours plus tard, l’état général de Caphi se dégrada rapidement. Giovanna et moi, nous reprîmes le chemin de Cognacq-Jay le jeudi 16 novembre. Barbara et Aline, ses deux soutiens indéfectibles, m’avaient prévenue que la situation était devenue très préoccupante. Caphi était profondément endormie lorsque nous entrâmes dans sa chambre, à 15 heures. Au bout d’une demi-heure, elle esquissa un léger mouvement. Nous nous approchâmes. Giovanna passa délicatement la main sur son front et je posai doucement la mienne sur son poignet : « Nous sommes là, Caphi. Nous sommes revenues te voir. Sois tranquille. Repose-toi. On reste près de toi. ». Elle ouvrit les yeux, sembla nous reconnaître, mais ne put nous parler avant de se rendormir. Une heure plus tard, elle ouvrit à nouveau les paupières, et esquissa un imperceptible sourire avant de replonger. La psychothérapeute et les infirmières, toutes très dévouées, nous assurèrent qu’elle ne souffrait pas. Elle était fort amaigrie, mais paraissait effectivement très calme. En quittant les lieux, vers 18 heures, nous traversâmes une dernière fois le petit parc. La météo avait bien changé depuis notre précédente visite. Il faisait déjà nuit et une bruine froide tombait sur les allées. Agrippé à une barrière métallique, un merle transi et immobile, nous regarda passer. « C’est bizarre, cet oiseau noir, ébouriffé et tout mouillé, qui reste là sans bouger. », me dit alors Giovanna. Le samedi 18 novembre, à 8h30, Caphi s’est envolée loin de l’obscurité. Aline a prévenu ses amies et relayé l’information sur la page facebook de Caphi. En introduction de son profil facebook, Caphi avait indiqué :
« Ex-journaliste et comédien.ne. Curieuse. Électron libre. Agnostique. Aime l’humain, le vivant…».
Son départ n’a rien changé.

PS : Arthur, qui était venu (en taxi) rendre visite à Caphi à l’hôpital Cognac-Jay, a été adopté par une amie.

Le dernier tournage de Caphi :

Pour toutes celles et ceux (et tous les autres) qui voudront venir lui rendre un dernier hommage :

7 thoughts on “CONNAIS-TU CAPHI ?

    1. Il manque quelques “gros mots” qu’elle affectionnait dans l’intimité. Alors : Fait chier, connasse! T’es morte ! Je t’aime au delà des putains de galères que nous avons traversés. Nous avions besoin de ton esprit explosif ! Ne t’inquiètes pas! ❤️

  1. Merci Brigitte pour ce bel écrit rendant hommage à notre Caroline. A travers tes mots, je l’ai vue revivre quelques instants. Sa verve, ses coups de gueule nous manquent.

  2. Bel hommage et mille fois mérité … une fois de plus la phrase “les meilleures s’en vont les premières” est vérifiée, pauvre Caphi, quelle merde la vie parfois…

  3. Eblouissant hommage…
    Grâce à toi, Brigitte, il me reste le souvenir de sa rencontre, gravé à jamais dans ma mémoire.

    Dans l’Invisible les Anges n’ont ni sexe, ni genre. Soit en paix, chère Caphi.

  4. Merci pour ce dernier rendez-vous avec Caphi ! Récit touchant et la vidéo en fin de texte (élections 2017) est exquise! Je partage et j’espère que beaucoup pourront ainsi découvrir ou redécouvrir Caphi à travers ce bel hommage.

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