COMMENT SE DIRE ADIEU ?
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« Maman est partie. », a sobrement écrit Thomas Dutronc sur son compte Instagram, en légende d’une photo de lui bébé, dans les bras de Françoise Hardy. La célèbre chanteuse, auteure-compositrice-interprète et actrice française, âgée de 80 ans, luttait contre un cancer du système lymphatique depuis vingt ans et contre un cancer du larynx depuis cinq ans. Ce mardi 11 juin 2024, un peu avant minuit, la maladie a eu raison de celle qui fut l’une des figures de proue de la génération dite des yéyés en France.
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Paris est sous l’occupation allemande lorsque Françoise Hardy pousse son premier cri, dans une clinique de la rue des Martyrs, par une froide nuit de janvier 1944, lors d’une alerte à la bombe. Un certain Jean-Philippe Smet, plus connu sous le pseudonyme de Johnny Hallyday, avait vu le jour en ce même lieu six mois plus tôt. L’enfance de Françoise et de Michèle, sa cadette d’un an, se passe dans un contexte difficile. Leur mère, Madeleine Hardy, ne peut compter que sur une modeste paye d’aide comptable. Leur père, issu d’une famille bourgeoise de Blois, est marié à une autre femme. Il n’a pas daigné reconnaître ses filles et oublie souvent de verser la pension alimentaire. Les deux sœurs partagent l’unique chambre d’un petit deux-pièces tandis que la mère dort dans la salle à manger. Le neuvième arrondissement n’est pas un quartier très engageant et les années d’après-guerre sont rudes. Une scolarité en institution religieuse, chez les sœurs trinitaires, des week-ends à Aulnay-sous-Bois, chez une grand-mère maternelle acariâtre, des vacances d’été en Autriche, pour apprendre l’allemand… Françoise se réfugie très tôt dans la lecture, puis dans la musique. Elle s’intéresse aux chanteurs français Georges Guétary, Tino Rossi, Luis Mariano, Charles Trenet.
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À 16 ans, une première révélation intervient grâce à la station Radio Luxembourg. Françoise Hardy découvre le rock’n’roll et la musique pop. Elle précise : « C’est venu au début des années 1960, quand ma mère a acheté une radio. En tournant le bouton, je suis tombée sur une station anglaise qui était Radio Luxembourg anglais. Cela a été déterminant dans mon existence, car j’ai découvert une musique qui me touchait au-delà de tout. D’un seul coup, il n’y a eu que cela qui a compté pour moi ! ». Elle est séduite par The Everly Brothers, Elvis Presley, Cliff Richard, Paul Anka, Brenda Lee… et d’autres artistes anglophones qui lui font hanter les disquaires et acheter ses premiers vinyles. Bonne élève, elle décroche son bac et demande une guitare comme récompense. Inscrite en première année d’allemand à la Sorbonne, elle suit également des cours de solfège et se prend à rêver d’une profession dans le domaine musical. Elle écrit ses premières chansons avec l’objectif de réaliser un disque. Elle passe plusieurs auditions encourageantes puis, fin 1961, décroche un premier contrat avec Vogue. Elle intègre le Petit Conservatoire de la Chanson de Mireille et fait sa première apparition télévisée dans l’émission hebdomadaire éponyme, sur l’unique chaîne de l’ORTF, le 6 février 1962. Son premier 45 tours sort quelques mois plus tard. Ce même été, elle rencontre Jean-Marie Périer, photographe à Paris Match et Salut les copains. Fils biologique d’Henri Salvador (qui ne le reconnaitra jamais) mais élevé par le célèbre acteur François Périer, le jeune photographe, qui fréquente déjà le swinging London et les vedettes françaises montantes, a le coup de foudre immédiat. Françoise et lui entament une relation amoureuse qui durera quatre ans.
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Le succès d’estime dont bénéficiait déjà Françoise Hardy auprès de la jeunesse française va se transformer en ras de marée médiatique le dimanche 28 octobre 1962. Ce soir-là, toute la France attend, devant sa télévision, les résultats du référendum sur l’élection au suffrage universel du président de la République. Lors d’un intermède musical, Françoise Hardy apparaît devant des millions de téléspectateurs, avec sa chanson “Tous les garçons et les filles”. L’effet est instantané. Dès le lendemain, tout le monde veut savoir qui est cette jolie jeune fille au charme nostalgique et à la voix envoutante. Les radios bombardent le titre. Les gens se ruent chez les disquaires. Les ventes atteignent rapidement les 500.000 exemplaires, puis le million, puis deux millions… Les médias s’entichent de la jeune artiste à la tendre élégance. La presse s’empare du phénomène et les demandes d’interviews se multiplient. Portée par la vague yéyé, Françoise Hardy se distingue par une sensibilité particulière et un talent d’écriture certain. Sa beauté intelligente, son look sensiblement androgyne, sa gravité légère, sa mélancolie teintée de saudade à la française font mouche. Les cinéastes Roger Vadim, Claude Lelouch, John Frankenheimer, Jean Luc Godard s’intéressent à elle. Son tube initial franchit les frontières. Outre les pays francophones, sa popularité gagne l’Espagne, les Pays Bas, le Danemark, l’Allemagne, l’Angleterre, le Canada, les USA, le Japon… C’est une déferlante douce et suave, alimentée par d’autres titres très personnels : “Le Temps de l’Amour”, “Mon amie la rose”, “L’amitié”, “Le Premier bonheur du jour”, “La Maison où j’ai grandi”… Sa sensualité fragile ne tarde pas à captiver les grands couturiers : André Courrèges, Paco Rabanne, Yves Saint-Laurent, Marc Bohan, Chanel… Tous la sollicitent. Tous la convoitent.
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Son pouvoir de séduction lascive semble ne pas avoir de limites. Il agit sur les Beatles et les Rolling Stones. Mick Jagger affirme qu’elle est son idéal féminin. Bob Dylan n’a de cesse de la retrouver chaque fois qu’il vient à Paris et l’évoque dans plusieurs textes. David Bowie dit d’elle : « « Pendant très longtemps, j’ai été passionnément amoureux d’elle. Tous les hommes et bon nombre de femmes l’étaient également, et nous le sommes encore. ». Salvador Dali est subjugué par sa beauté longiligne et l’invite à Cadaques. Mais la tendre et délicate Françoise s’éprend de l’homme de sa vie en 1967. « J’ai rencontré quelqu’un »… dit-elle un soir à Jean Marie Perier, avec qui elle restera toujours très proche. Ce quelqu’un n’est autre que Jacques Dutronc, le playboy qui fait crac boum hue, qui aime les filles, les cactus, les hôtesses de l’air, les mini mini mini, et Paris qui s’éveille à cinq heures du mat. Couple iconique des années 1970, ce duo atypique ne fait rien comme les autres. Ils tombent raides dingues l’un de l’autre en 1967, ont un fils, Thomas Dutronc, en 1973, ne se marient qu’en 1981, et se séparent en 1990, restant toutefois complices jusqu’à la fin. Même du temps de leur vie dite commune, ils cultivent une proximité distante, une intensité en pointillés entre Paris et la Corse. Françoise confiait que, parfois, elle savait que Jacques était passé dans leur appartement parce que certains objets, tel un cendrier ou une guitare, avaient bougé. Elle a sans doute beaucoup souffert de cette désinvolture, de ce détachement apparent, des virées entre copains, des aventures extra-conjugales de celui qu’elle aimait par dessus tout et qui exprimait peu ses sentiments, alors que tant d’hommes se seraient rués à ses pieds pour la combler de toute leur attention. Quelques unes des chansons qu’elle a écrites à cette époque lui sont d’ailleurs directement adressées, comme autant de doucereux reproches et plaintes solitaires.
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Peu encline à s’éparpiller dans des concerts et des tournées harassantes, Françoise Hardy privilégie par la suite les complicités dans la veine sentimentale qu’elle affectionne et qui la caractérise, comme avec Serge Gainsbourg (Comment te dire adieu), Michel Berger (Message Personnel) et Michel Jonasz (J’écoute de la musique saoule). Elle enregistre avec des artistes aussi divers que Patrick Dewaere, Iggy Pop, collabore avec Louis Chedid, Étienne Daho, Diane Tell, Julien Clerc, Patrick Juvet, Viktor Lazlo, Jean-Pierre Mader, Guesch Patti, Malcolm McLaren, Jeff Beck, Alain Bashung, Julio Iglesias, Henri Salvador, Alain Souchon… Françoise Hardy a toujours préféré ces explorations intimes en studio plutôt que les scènes surdimensionnées : « J’aime le studio et être coupée du monde. Un studio, c’est un endroit magique ; les chansons sur lesquelles on a travaillé, tout d’un coup, prennent corps. (…) On arrive, avec ce qu’on éprouve, à faire quelque chose ; en quoi beaucoup de gens peuvent se reconnaître. L’art est là. ». Paradoxe étrange, pour quelqu’un aimant le repli, la nostalgie, l’introspection, que de parvenir à extérioriser et partager tant d’émotion. Singularité précieuse qui transforme une vulnérabilité aérienne en force puissante. Françoise Hardy la discrète symbolise une jeunesse éphémère et évanescente, qui, mine de rien, distille la sagesse des anciens. Dans Paris Match, elle confiait : « J’ai été élevée en partie par une grand-mère qui n’avait pas cessé de me rabaisser. Je me trouvais laide et me voyais devenir nonne. Ma mère espérait pour moi un grand avenir en m’inscrivant à Sciences po, sans me demander mon avis, et j’avais tout de suite eu conscience de ne pas être à la hauteur de ces étudiants brillants. Cette impression d’être une sorte de fausse note parmi les autres m’a accompagnée toute ma vie.». Des fausses notes comme elles, bien des artistes se damneraient pour en être.
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En marge de sa partition musicale, l’éternelle filiforme s’est adonnée, dès les années 1980, à la graphologie et l’astrologie. Une autre manière de voyager au delà des apparences cinq décennies durant. Une autre façon de déceler la raison du paraître, l’envers de l’être. Le ressentir, le dire ou le chanter est peut-être déjà un moyen de le guérir : « Je n’aime rien tant que la blessure protégée par le mur de ses apparences ». De même, dans les périodes les plus éprouvantes, physiquement et mentalement, de sa longue maladie, elle s’est intéressée à la médecine quantique afin de restituer un témoignage authentique à propos de son combat. Elle a récemment exhorté le président de la République et l’Assemblée Nationale à faire réellement progresser le débat sur le droit à mourir dans la dignité et légaliser l’euthanasie en France. En 2016 déjà, elle abordait le sujet sans hypocrisie dans son livre “Un cadeau du ciel”. Ses réflexions sur l’amour, l’amitié et la spiritualité y étaient édifiantes. Dans “Puisque vous partez en voyage”, ultime et magistral duo avec Jacques Dutronc, associant flegme désinvolte et malicieuse douceur, Françoise Hardy adressait ce délicieux présent vocal à qui voulait l’entendre :
Puisque vous partez en voyage
Puisque nous nous quittons ce soir
Mon cœur fait son apprentissage
Je veux sourire avec courage
Promettez-moi d’être bien sage
De penser à moi tous les jours
J’ai mon amour pour seul bagage
Et tout le reste je m’en fous
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Quelle promptitude à réagir à la poignante nouvelle,Brigitte. Un article parfait, une recherche des plus belles images et des plus belles chansons. Son corps et sa voix n’avaient d’équivalent. Une si belle personne !
Merci de nous avoir instruits et émus aux larmes.
“La nostalgie n’est plus ce qu’elle était”a-t’on écrit.
On aimerait lire son analyse graphologique et son portrait astrologique.
Je n’oublierai jamais que le film de Denys Arcand Les invasions barbares se termine par la superbe chanson de Françoise Hardy accompagnant un avion en montée.
RIP Françoise .
Merci, chère Brigitte pour ce si bel hommage. Tu nous fais regretter de ne pas l’avoir connue.
À bientôt
Un bon résumé de la vie d’artiste de Françoise. Quel talent et la simplicité des années sixties ; elle est partie pour le large maintenant et rejoindre un autre monde. Paix à elle.
Me piquant d’être la spécialiste de Françoise Hardy, j’attendais, stylo en main les erreurs que j’allais probablement relever, les médias ayant préparé sa necro depuis déjà quelques années n’ont pas pris la peine de la mettre à jour, mais là tout est au cordeau, l’essentiel est là et tout est exact.
Un bon travail journalistique. (Je me refugie derrière une analyse technique pour ne pas tomber en sanglots ), merci.
Bravo pour ce texte complet et émouvant, chère Brigitte…Avec ma fidèle amitié !
Merci Brigitte pour cette magnifique rétrospective en hommage à Françoise.
Elle m’avait accompagnée dans mes premiers pas de bébé et j’ai pris un peu de temps pour lui rendre hommage aussi sur ton blog.
Souvenirs :
Au 10 place d’Italie, vivaient mes grand-parents dans un immeuble cossu. Ils avaient comme voisins la famille L. chez qui mes parents allaient aussi rendre visite. Un repaire d’une bande de soixanthuitards avec Martine, Françoise, Jacques et bien d’autres. Je passais de mains en mains dans ce café révolutionnaire, précurseur de la libération de la Femme. Ces rencontres inspirèrent ma mère pour mon éducation. Mon père était également engagé sur ce chemin d’égalité et de liberté avec son rôle de délégué syndical.
Je me rappelle qu’un jour ma mère me dit : “Tu sais , la dame qui te porte est connue, c’est une chanteuse”. Je ne parlais pas encore mais ai toujours gardé ma mémoire d’enfant avec des souvenirs remontant jusqu’à mes 6 mois, assez précis, qui étonnent encore ma mère.
Cette ambiance beatnik, de musique yéyé, de meetings sur l’égalité des sexes et de l’émancipation de la femme, a rythmé mes toutes premières enjambées de bébé. Était-ce un hasard d’être déjà bercé dans une atmosphère d’équité homme-femme ?
Étais-je déjà conscient de n’être pas comme tous les garçons et les filles de mon âge, moi qui ai découvert tardivement que je suis transgenre ?