FRIDAY ON MY MIND

THE EASYBEATS

Coupe Beatles version Rubber Soul, veste cintrées à épaulettes et boutons dorés, guitares électriques et sonorités sixties, ce quintette-là aurait pu émerger du Merseybeat, courant musical né à Liverpool (traversé par la rivière Mersey) au début des années soixante. Malgré leur dégaine, leur style et leur nom, le tout fleurant bon la Grande Bretagne, the Easybeats est pourtant répertorié en tant que groupe pop-rock australien, certainement le plus fameux de cette époque, grâce au succès retentissant de leur tube international : “Friday on my Mind”.

En réalité, leur généalogie, tant musicale que familiale, n’avait rien d’australoïde. Nés juste après guerre, ces baby-boomers avaient bel et bien des racines européennes. Leurs parents n’avaient pas hésité à bringuebaler ces cinq garçons dans le vent d’une migration vers le lointain Commonwealth d’Australie. De nationalité anglaise pour le chanteur Stevie Wright et le batteur Snowy Fleet, écossaise pour le guitariste rythmique George Young, et hollandaise pour le bassiste Dick Diamonde et le guitariste Harry Vanda, la fine équipe s’est rapidement constituée avec des vélléités rythm and blues, tendance Mod. À la fin des années 1950, les mods (abréviation de modernists) étaient de jeunes hédonistes londoniens amateurs de modern jazz, urbains et bien sapés, limite dandys, se déplaçant en Vespa exagérément accessoirisées, férus de danse, de week-ends festifs agrémentés de drogues récréatives… et de bagarres avec leurs ennemis jurés, les rockers ! Les Easybeats en adoptèrent le look à leur débuts, en 1964, mais leurs compositions musicales trahissaient déjà un métissage pop/rock évident. Les jeunes musiciens firent leurs classes dans les pubs et les foyers de Sydney, un peu comme les Beatles l’avaient fait dans les clubs de Hambourg avant de revenir à Liverpool.

L’Australie tomba rapidement sous le charme Easybeats. Cette éclosion soudaine leur permit de signer un premier contrat avec Albert Productions, une jeune compagnie locale alors en partenariat avec Parlophone, le label des Beatles… En 1965, leur chanson “She’s so fine” fut classée troisième dans les charts nationaux. S’en suivit un premier album intitulé “Easy”, avec plusieurs titre prometteurs. L’année suivante, pas moins de deux albums, “It’s 2 Easy” en mars, et “Volume 3” en novembre, regroupèrent d’autres compositions originales leur permettant de se démarquer des groupes habitués à n’interpréter que des reprises. Dès lors, le phénomène alla crescendo. L’Angleterre avait sa Beatlemania. L’Australie succombait à une véritable Easyfever, avec les mêmes débordements et démesures à chacune de leurs apparitions. Le temps était venu de se jeter à l’eau et traverser les océans pour se risquer dans le grand bain des sixties, d’autant qu’United Artists Records, légendaire label américain ayant produit, entre autres, Count Basie, Art Blakey, Duke Ellington et Billie Hollyday, venait juste de les signer. Bye bye Singing Sydney and hello Swinging London. En ce mois de juillet 1966, l’histoire ne dit pas si leur avion décolla d’Australie un vendredi, mais les semaines qui suivirent leur débarquement en Angleterre tinrent à la fois du rêve et du cauchemar.

Le changement de décor fut étourdissant. Les cinq de Sydney se retrouvèrent propulsés dans une autre dimension. Ils marchaient soudain dans les pas de leurs idoles, fréquentant les mêmes night clubs, arpentant les rues d’une capitale anglaise en pleine effervescence artistique, se ruant dans les boutiques de fringues de Candem Market ou Carnaby Street, assistant à des concerts époustouflants, rencontrant les nombreux talents musicaux du moment, enregistrant plusieurs sessions dans les mythiques studios d’Abbey Road… et se demandant comment diable, au beau milieu d’une telle concurrence, ils allaient bien pouvoir se montrer à la hauteur ! Tiraillés entre euphorie et angoisse, ils accueillirent avec soulagement l’aide du producteur de musique américain Shel Talmy, celui-là même qui lança les Kinks et les Who. Dans le même temps, les deux guitaristes du groupe, George Young et Harry Vanda, eurent la bonne idée d’avoir une inspiration géniale, et de composer “Friday on my Mind”, qui, quarante plus tard, sera qualifiée de « meilleure chanson australienne de tous les temps ». Sortie en novembre 1966, elle grimpa rapidement dans tous les classements et devint un hit en Europe, aux États Unis, et évidemment en Australie. Tandis que leurs copains restés au pays glissaient sur les vagues australes, les Easybeats surfaient sur une déferlante vertigineuse. Ils multipliaient les concerts, les shootings photos, les interviews, les unes de magazines et les émissions de télévision. Et les filles se déhanchaient frénétiquement sur ce friday qui hantait tous les esprits.

Pourquoi un tel engouement ? Difficile de répondre clairement, de même qu’il est quasiment impossible d’isoler à coup sûr les éléments qui font de telle ou telle chanson un hit planétaire. C’est une conjonction de facteurs différents, une passerelle invisible entre une création et son public, une liaison particulière entre l’émetteur et le récepteur, un moment de grâce plus ou moins éphémère, qui marque une époque et en restitue une parcelle immatérielle, faite de sentiments, d’impressions, d’émotions et de partages qui ne s’expliquent pas. Toutefois, dans le cas présent, quelques composantes essentielles émergent à différents niveaux. Musicalement, le riff d’introduction à la guitare électrique est marquant. Reconnaissable entre mille, il est très technique, privilégiant un picking très précis des cordes la et ré, sans toucher les quatre autres. D’emblée, il nous place sous influence, nous plonge dans un registre ambigu et entêtant. Cette sorte de pointillisme électrique contraste avec les paroles du premier couplet qui forment des phrases presque lancinantes, aux finales trainantes. La prononciation et le sens des mots évoquent une lassitude, un ennui, une attente qui finissent par se désagréger dans une descente chromatique scabreuse. On redoute une seconde le déraillement puis survient le refrain, explosion de joie et d’entrain, soutenue par des chœurs malicieux et sautillants, sorte de réponse vocale au riff instrumental d’entrée, qui reprend le relai pour amener le second couplet. Le texte suit le mouvement à la perfection (voir paroles et traduction en fin d’article). Il raconte l’histoire d’une petit gars de la campagne, s’échinant toute la semaine dans une ferme ou un garage. Il trime dur dans l’attente salvatrice d’un week-end débridé. Lundi nauséeux, mardi léger mieux, mercredi en stand by, jeudi interminable, et enfin vendredi, si longuement désiré, et annonciateur du défoulement et de la virée en ville avec sa chérie, paroxysme jouissif, qui, fatalement, se terminera trop tôt. Tout s’accélère jusqu’à en perdre la tête, et puis tout recommence et se délite dans la morosité. On repart pour un tour, tel le mythe de Sisyphe, condamné à rouler sa pierre jusqu’au sommet d’une montagne, d’où elle finit toujours par retomber. Les accords qui s’enchaînent tout au long du morceau servent admirablement le même propos, embarquant l’auditeur dans ce curieux voyage qui semble ne jamais pouvoir finir, va et vient continu entre antagonismes émotionnels et sentiments contraires. C’est une composition très intelligente, touchant particulièrement la jeunesse, alternant l’espoir et le désespoir de l’humain, en proie aux montagnes russes existentielles qui bordent sa vie. Un autre élément majeur réside dans la prestation et la personnalité charismatique du chanteur Stevie Wright. Il transmet parfaitement le message, sachant ralentir son phrasé quand il le faut et lâcher toute son énergie aux moments opportuns. Son sourire, son look et sa gestuelle font le reste, avec ce zeste so british des sixties remuantes et décomplexées.

The Easybeats n’eurent malheureusement guère le temps de savourer leur succès. Ils jouèrent pourtant devant les plus grands, comme au Saville Theatre, en présence des Beatles et des Rolling Stones. Brian Epstein, le manager des Beatles leur proposa même un contrat… qu’ils refusèrent ! Peur du vide et de l’inconnu ? Lassitude due à l’enchaînement des concerts et des tournées loin de leur famille et de leurs amis ? Travail de sape des drogues et de l’alcool ? De retour en Australie, ils tentèrent de retrouver l’inspiration mais elle ne fut pas au rendez-vous. Les mutations de la pop psychédélique ne correspondaient peut-être pas à leur évolution. En 1967, les Beatles sortaient Sergeant Pepper, album concept marquant le début d’une autre épopée musicale. Idem avec l’émergence des Pink Floyd. À l’été 1968, the Easybeats tentèrent un compromis entre leur style beat et la pop pychédélique par le truchement d’un album intitulé “Vigil”, qui fut un échec commercial cuisant. United Artists mit alors fin à leur collaboration. Ils parvinrent tout de même à signer chez Polydor pour produire un ultime album intitulé “Friends” mais les amis se séparèrent en 1969, après une dernière tournée en Australie. George Young et Harry Vanda, les deux guitaristes auteurs de l’inoubliable “Friday on my Mind”, repris par de nombreux artistes, allant de David Bowie à Bruce Springsteen, en passant par Gary Moore, continuèrent à composer et travailler ensemble. Ils produisirent les premiers albums du groupe de hard rock australo-britannique AC/DC, au sein duquel œuvrent deux jeunes frères de George. Un autre frère Young, Alexander, le seul qui n’émigra pas en Australie, fut le leader de Grapefruit, groupe de la fin des années 1960, produit par les Beatles. Aujourd’hui, des cinq membres fondateurs des Easybeats, ils ne reste plus que deux survivants. Le bassiste Dick Diamonde est décédé en septembre dernier. Le guitariste George Young s’est éteint en octobre 2017, deux ans après le chanteur Stevie Wright, emporté par une pneumonie le 27 décembre 2015. En 1988, lors d’une répétition pour le Melbourne Music Festival, il interprétait avec la même énergie un friday à jamais lié à sa mémoire.

Friday On My Mind
(Le Vendredi en Tête)

Monday morning I feel so bad
Le lundi matin je me sens si mal
Everybody seems to nag me
Tout le monde semble me gonfler
Coming Tuesday I feel better
Quand arrive mardi je me sens mieux
Even my old man looks good
Même mon vieux me parait bien
Wednesday just don’t go
Mercredi n’avance simplement pas
Thursday goes too slow
Jeudi passe trop lentement
I got Friday on my mind
Je n’ai que vendredi en tête


I Gonna have fun in the city
Je vais m’éclater en ville
I’ll be with my girl she’s so pretty
Je serai avec ma chérie elle est si jolie
She looks fine tonight
Elle a l’air en forme ce soir
She is outasight to me
A mes yeux elle est vraiment trop
Tonight I’ll spend my bread
Ce soir je dépenserai mon blé
Tonight I’ll lose my head
Ce soir je perdrai la tête
Tonight I got to get
Ce soir il faut que j’y arrive
Tonight
Ce soir

Monday I’ll have Friday on my mind
Dès lundi j’aurai vendredi dans la tête

Do the five day grind once more
Et me revoici à faire la corvée des cinq jours
Know of nothing else that bugs me
Je ne connais rien de plus gonflant
More than working for the rich man
Que de travailler pour le richard
Hey I’ll change that scene one day
Hé je changerai ce scénario un jour
Today I might be mad
Aujourd’hui je suis peut être fou
Tomorrow I’ll be glad
Demain je serai content
Coz I got Friday on my mind
Car j’ai vendredi dans la tête

Monday I’ll have Friday on my mind…

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