APTUS RADIUS
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Dans la pièce où je travaille, un canapé est installé à côté de mon bureau et de mes ordinateurs. Il est le témoin silencieux de mes longues nuits d’écriture. Je m’y suis déjà affalée, exténuée mais ravie du travail accompli. Il a déjà servi de desserte, enseveli sous les livres, les costumes de scène ou les sacs de voyage. Il a pu être aussi, en certaines circonstances inavouables, le complice d’acrobaties scabreuses que la morale réprouve, mais il ne m’a jamais fait faux bond… jusque avant hier. Sur une étagère fixée en hauteur, juste au dessus de lui, sont alignés des dictionnaires et des dossiers de presse que je consulte plus rarement que les autres. J’ai voulu me saisir rapidement de l’un d’eux et, pour ce faire, ai escaladé le canapé, geste que j’ai accompli maintes fois sans le moindre problème, y compris en talons aiguille, mais cette fois, pour une raison véritablement inexplicable, une chose étrange s’est produite. Le clic-clac silencieux s’est sournoisement dérobé sous mes pieds nus et s’est métamorphosé en cric-crac retentissant.
Triple salto arrière du haut du canapé avec rebond chorégraphié sur le bureau et atterrissage forcé sur le parquet vitrifié… Note technique du saut en lui-même : 19/20. Note artistique du rebond stylisé : 18/20. Note pondérée de la réception au sol : – 5/20. Résultat final du concours : un accessit remarqué aux urgences de l’hôpital Saint Antoine de Paris. Nom de code : Aptus Radius… qui désigne à la fois l’opération chirurgicale qui a suivi et la plaque en titane désormais fixée à l’intérieur de mon bras. Les mauvaises langues diront que je n’y suis pas allé de main morte et que je suis tombée de haut. Elles n’auront pas vraiment tort. Le rythme de mes productions écrites (de la main gauche) risque fort de s’en trouver quelque peu affecté ces prochains jours. Je promets de faire mieux la prochaine fois.